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De son côté , Mme Bridau , par amour maternel , ne laissait pas sa dépense s' élever à une somme plus considérable . Pour se punir de sa confiance , elle se retranchait héroïquement ses petites jouissances . Comme chez beaucoup d' esprits timides et d' intelligence bornée , un seul sentiment froissé et sa défiance réveillée l' amenaient à déployer si largement un défaut , qu' il prenait la consistance d' une vertu .
L' Empereur pouvait oublier , se disait - elle , il pouvait périr dans une bataille , sa pension cesserait avec elle . Elle frémissait en voyant des chances pour que ses enfants restassent sans aucune fortune au monde .
Incapable de comprendre les calculs de Roguin quand il essayait de lui démontrer qu' en sept ans une retenue de trois mille francs sur l' usufruit de Mme Descoings lui rétablirait les rentes vendues , elle ne croyait ni au notaire , ni à sa tante , ni à l' État , elle ne comptait plus que sur elle - même et sur ses privations .
En mettant chaque année de côté mille écus sur sa pension , elle aurait trente mille francs au bout de dix ans , avec lesquels elle constituerait déjà quinze cents francs de rente pour un de ses enfants .
à trente - six ans , elle avait assez le droit de croire pouvoir vivre encore vingt ans , et , en suivant ce système , elle devait donner à chacun d' eux le strict nécessaire .
Ainsi ces deux veuves étaient passées d' une fausse opulence à une misère volontaire , l' une sous la conduite d' un vice , et l' autre sous les enseignes de la vertu la plus pure .
Rien de toutes ces choses si menues n' est inutile à l' enseignement profond qui résultera de cette histoire prise aux intérêts les plus ordinaires de la vie , mais dont la portée n' en sera peut - être que plus étendue .
La vue des loges , le frétillement des rapins dans la rue , la nécessité de regarder le ciel pour se consoler des effroyables perspectives qui cernent ce coin toujours humide , l' aspect de ce portrait encore plein d' âme et de grandeur malgré le faire du peintre amateur , le spectacle des couleurs riches , mais vieillies et harmonieuses , de cet intérieur doux et calme , la végétation des jardins aériens , la pauvreté de ce ménage , la préférence de la mère pour son aîné , son opposition aux goûts du cadet , enfin l' ensemble de faits et de circonstances qui sert de préambule à cette histoire contient peut - être les causes génératrices auxquelles nous devons Joseph Bridau , l' un des grands peintres de l' École française actuelle .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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