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Sa physionomie exprimait cette incorruptibilité qu' on accorde à plusieurs hommes employés sous la République . En regard et au - dessus d' une table à jeu brillait le portrait de l' Empereur colorié , fait par Vernet , et où Napoléon passe rapidement à cheval , suivi de son escorte .
Agathe se donna deux grandes cages d' oiseaux , l' une pleine de serins , l' autre d' oiseaux des Indes . Elle s' adonnait à ce goût enfantin depuis la perte , irréparable pour elle comme pour beaucoup de monde , qu' elle avait faite .
Quant à la chambre de la veuve , elle fut , au bout de trois mois , ce qu' elle devait être jusqu' au jour néfaste où elle fut obligée de la quitter , un fouillis qu' aucune description ne pouvait mettre en ordre .
Les chats y faisaient leur domicile sur les bergères ; les serins , mis parfois en liberté , y laissaient des virgules sur tous les meubles .
La pauvre bonne veuve y posait pour eux du millet et du mouron en plusieurs endroits . Les chats y trouvaient des friandises dans des soucoupes écornées . Les hardes traînaient .
Cette chambre sentait la province et la fidélité . Tout ce qui avait appartenu à feu Bridau y fut soigneusement conservé . Ses ustensiles de bureau obtinrent les soins qu' autrefois la veuve d' un paladin eût donnés à ses armes .
Chacun comprendra le culte touchant de cette femme d' après un seul détail . Elle avait enveloppé , cacheté une plume , et mis cette inscription sur l' enveloppe : " Dernière plume dont se soit servi mon cher mari .
" La tasse dans laquelle il avait bu sa dernière gorgée était sous verre sur la cheminée . Les bonnets et les faux cheveux trônèrent plus tard sur les globes de verre qui recouvraient ces précieuses reliques .
Depuis la mort de Bridau , il n' y avait plus chez cette jeune veuve de trente - cinq ans ni trace de coquetterie ni soin de femme . Séparée du seul homme qu' elle eut connu , estimé , aimé , qui ne lui avait pas donné le moindre chagrin , elle ne s' était plus sentie femme , tout lui fut indifférent ; elle ne s' habilla plus .
Jamais rien ne fut ni plus simple ni plus complet que cette démission du bonheur conjugal et de la coquetterie .
Certains êtres reçoivent de l' amour la puissance de transporter leur moi dans un autre , et quand il leur est enlevé , la vie ne leur est plus possible .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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