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Les fonds étaient alors à quarante , Agathe eut donc environ deux mille livres de rente sur l' État . Veuve , Mme Bridau pouvait donc vivre honorablement avec six mille livres de rente . Toujours femme de province , elle voulut renvoyer le domestique de Bridau , ne garder que sa cuisinière et changer d' appartement ; mais son amie intime qui persistait à se dire sa tante , Mme Descoings , vendit son mobilier , quitta son appartement et vint demeurer avec Agathe , en faisant du cabinet de feu Bridau une chambre à coucher .
Ces deux veuves réunirent leurs revenus et , se virent à la tête de douze mille francs de rente .
Cette conduite semble simple et naturelle . Mais rien dans la vie n' exige plus d' attention que les choses qui paraissent naturelles , on se défie toujours assez de l' extraordinaire ; aussi voyez - vous les hommes d' expérience , les avoués , les juges , les médecins , les prêtres attachant une énorme importance aux affaires simples : on les trouve méticuleux .
Le serpent sous les fleurs est un des plus beaux mythes que l' Antiquité nous ait légués pour la conduite de nos affaires .
Combien de fois les sots , pour s' excuser à leurs propres yeux et à ceux des autres , s' écrient : " C' était si simple que tout le monde y aurait été pris ! "
En 1809 , Mme Descoings , qui ne disait point son âge , avait soixante - cinq ans . Nommée dans son temps la belle épicière , elle était une de ces femmes si rares que le temps respecte , et devait à une excellente constitution le privilège de garder une beauté qui néanmoins ne soutenait pas un examen sérieux .
De moyenne taille , grasse , fraîche , elle avait de belles épaules , un teint légèrement rosé . Ses cheveux blonds , qui tiraient sur le châtain , n' offraient pas , malgré la catastrophe de Descoings , le moindre changement de couleur .
Excessivement friande , elle aimait à se faire de bons petits plats , mais , quoiqu' elle parût beaucoup penser à la cuisine , elle adorait aussi le spectacle et cultivait un vice enveloppé par elle dans le plus profond mystère : elle mettait à la loterie ! Ne serait - ce pas cet abîme que la mythologie nous a signalé par le tonneau des Danaïdes ? La Descoings , on doit nommer ainsi une femme qui jouait à la loterie , dépensait peut - être un peu trop en toilette , comme toutes les femmes qui ont le bonheur de rester jeunes longtemps ; mais , hormis ces légers défauts , elle était la femme la plus agréable à vivre .

LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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