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Philippe fut un des bonapartistes les plus assidus du café Lemblin , véritable Béotie constitutionnelle ; il y prit les habitudes , les manières , le style et la vie des officiers à demi - solde ; et , comme eût fait tout jeune homme de vingt et un ans , il les outra , voua sérieusement une haine mortelle aux Bourbons , ne se rallia point , il refusa même les occasions qui se présentèrent d' être employé dans la Ligne avec son grade de lieutenant - colonel . Aux yeux de sa mère , Philippe parut déployer un grand caractère .
" Le père n' eût pas mieux fait " , disait - elle .
La demi - solde suffisait à Philippe , il ne coûtait rien à la maison , tandis que Joseph était entièrement à la charge des deux veuves . Dès ce moment , la prédilection d' Agathe pour Philippe se trahit . Jusque - là cette préférence fut un secret , mais la persécution exercée sur un fidèle soldat de l' Empereur , le souvenir de la blessure reçue par ce fils chéri , son courage dans l' adversité , qui , bien que volontaire , était pour elle une noble adversité , firent éclater la tendresse d' Agathe .
Ce mot : " Il est malheureux ! " justifiait tout .
Joseph , dont le caractère avait cette simplesse qui surabonde au début de la vie dans l' âme des artistes , élevé d' ailleurs dans une certaine admiration de son grand frère , loin de se choquer de la préférence de sa mère , la justifiait en partageant ce culte pour un brave qui avait porté les ordres de Napoléon dans deux batailles , pour un blessé de Waterloo .
Comment mettre en doute la supériorité de ce grand frère qu' il avait vu dans le bel uniforme vert et or des Dragons de la Garde commandant son escadron au Champ - de - Mai ! Malgré sa préférence , Agathe se montra d' ailleurs excellente mère : elle aimait Joseph , mais sans aveuglement ; elle ne le comprenait pas , voilà tout .
Joseph adorait sa mère , tandis que Philippe se laissait adorer par elle .
Cependant le dragon adoucissait pour elle sa brutalité soldatesque , mais il ne dissimulait guère son mépris pour Joseph , tout en l' exprimant d' une manière amicale .
En voyant ce frère dominé par sa puissante tête et maigri par un travail opiniâtre , tout chétif et malingre à dix - sept ans , il l' appelait : " Moutard ! " Ses manières toujours protectrices eussent été blessantes sans l' insouciance de l' artiste qui croyait d' ailleurs à la bonté cachée chez les soldats sous leur air brutal .
Joseph ne savait pas encore , le pauvre enfant , que les militaires d' un vrai talent sont doux et polis comme les autres gens supérieurs .
Le génie est en toute chose semblable à lui - même .
LA RABOUILLEUSE (IV, provinc)
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