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Que l' esprit naturel est tout , et que l' on est bien plus instruit de ce que l' n apprend ans le monde que de ce qu' on lit dans les livres ;
Qu' enfin la lecture finit par ternir les yeux , etc . .
Laisser une femme libre de lire les livres que la nature de son esprit la porte à choisir ! ... Mais c' est introduire l' étincelle dans une sainte - barbe ; c' est pis que cela , c' est apprendre à votre femme à se passer de vous , à vivre dans un monde imaginaire , dans un paradis .
Car que lisent les femmes ? Des ouvrages passionnés , les Confessions de Jean - Jacques , des romans , et toutes ces compositions qui agissent le plus puissamment sur leur sensibilité .
Elles n' aiment ni la raison ni les fruits mûrs . Or , avez - vous jamais songé aux phénomènes produits par ces poétiques lectures ?
Les romans , et même tous les livres , peignent les sentiments et les choses avec des couleurs bien autrement brillantes que celles qui sont offertes par la nature ! Cette espèce de fascination provient moins du désir que chaque auteur a de se montrer parfait en affectant des idées délicates et recherchées , que d' un indéfinissable travail de notre intelligence .
Il est dans la destinée de l' homme d' épurer tout ce qu' il emporte dans le trésor de sa pensée .
Quelles figures , quels monuments ne sont pas embellis par le dessin ? L' âme du lecteur aide à cette conspiration contre le vrai , soit par le silence profond dont il jouit ou par le feu de la conception , soit par la pureté avec laquelle les images se réfléchissent dans son entendement .
Qui n' a pas , en lisant les Confessions de Jean - Jacques , vu Mme de Warens plus jolie qu' elle n' était ? On dirait que notre âme caresse des formes qu' elle aurait jadis entrevues sous de plus beaux cieux ; elle n' accepte les créations d' une autre âme que comme des ailes pour s' élancer dans l' espace ; le trait le plus délicat , elle le perfectionne encore en se le faisant propre ; et l' expression la plus poétique dans ses images y apporte des images encore plus pures .
Lire , c' est créer peut - être à deux .
Ces mystères de la transsubstantiation des idées sont - ils l' instinct d' une vocation plus haute que nos destinées présentes ? Est - ce la tradition d' une ancienne vie perdue ? Qu' était - elle donc si le reste nous offre tant de délices ? ...

MARIAGE PHYSIOLOGIE (XI, analyt)
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