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Elle résolut d' aller chez la duchesse de Carigliano , non pas pour lui redemander le coeur de son mari , mais pour s' y instruire des artifices qui le lui avaient enlevé ; mais pour intéresser à la mère des enfants de son ami cette orgueilleuse femme du monde ; mais pour la fléchir et la rendre complice de son bonheur à venir comme elle était l' instrument de son malheur présent . Un jour donc , la timide Augustine , armée d' un courage surnaturel , monta en voiture à deux heures après midi , pour essayer de pénétrer jusqu' au boudoir de la célèbre coquette , qui n' était jamais visible avant cette heure - là .
Mme de Sommervieux ne connaissait pas encore les antiques et somptueux hôtels du faubourg Saint - Germain . Quand elle parcourut ces vestibules majestueux , ces escaliers grandioses , ces salons immenses ornés de fleurs malgré les rigueurs de l' hiver , et décorés avec ce goût particulier aux femmes qui sont nées dans l' opulence ou avec les habitudes distinguées de l' aristocratie , Augustine eut un affreux serrement de coeur : elle envia les secrets de cette élégance de laquelle elle n' avait jamais eu l' idée , elle respira un air de grandeur qui lui expliqua l' attrait de cette maison pour son mari .
Quand elle parvint aux petits appartements de la duchesse , elle éprouva de la jalousie et une sorte de désespoir , en y admirant la voluptueuse disposition des meubles , des draperies et des étoffes tendues .
Là le désordre était une grâce , là le luxe affectait une espèce de dédain pour la richesse .
Les parfums répandus dans cette douce atmosphère flattaient l' odorat sans l' offenser .
Les accessoires de l' appartement s' harmoniaient avec une vue ménagée par des glaces sans tain sur les pelouses d' un jardin planté d' arbres verts .
Tout était séduction , et le calcul ne s' y sentait point .
Le génie de la maîtresse de ces appartements respirait tout entier dans le salon où attendait Augustine . Elle tâcha d' y deviner le caractère de sa rivale par l' aspect des objets épars ; mais il y avait là quelque chose d' impénétrable dans le désordre comme dans la symétrie , et pour la simple Augustine ce fut lettres closes .
Tout ce qu' elle put y voir , c' est que la duchesse était une femme supérieure en tant que femme .
Elle eut alors une pensée douloureuse .
" Hélas ! serait - il vrai , se dit - elle , qu' un coeur aimant et simple ne suffise pas à un artiste ; et pour balancer le poids de ces âmes fortes , faut - il les unir à des âmes féminines dont la puissance soit pareille à la leur ? Si j' avais été élevée comme cette sirène , au moins nos armes eussent été étalés au moment de la lutte .
"

MAISON CHAT PELOTE (I, privé)
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