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La figure du père de famille et celle de sa femme , les visages des commis et les formes pures d' Augustine , à deux pas de laquelle se tenait une grosse fille joufflue , composaient un groupe si curieux ; ces têtes étaient si originales , et chaque caractère avait une expression si franche ; on devinait si bien la paix , le silence et la modeste vie de cette famille , que , pour un artiste accoutumé à exprimer la nature , il y avait quelque chose de désespérant à vouloir rendre cette scène fortuite .
Ce passant était un jeune peintre , qui , sept ans auparavant , avait remporté le grand prix de peinture .
Il revenait de Rome . Son âme nourrie de poésie , ses yeux rassasiés de Raphaël et de Michel - Ange , avaient soif de la nature vraie , après une longue habitation du pays pompeux où l' art a jeté partout son grandiose .
Faux ou juste , tel était son sentiment personnel . Abandonné longtemps à la fougue des passions italiennes , son coeur demandait une de ces vierges modestes et recueillies que , malheureusement , il n' avait su trouver qu' en peinture à Rome .
De l' enthousiasme imprimé à son âme exaltée par le tableau naturel qu' il contemplait , il passa naturellement à une profonde admiration pour la figure principale : Augustine paraissait pensive et ne mangeait point ; par une disposition de la lampe dont la lumière tombait entièrement sur son visage , son buste semblait se mouvoir dans un cercle de feu qui détachait plus vivement les contours de sa tête et l' illuminait d' une manière quasi surnaturelle .
L' artiste la compara involontairement à un ange exilé qui se souvient du ciel .
Une sensation presque inconnue , un amour limpide et bouillonnant inonda son coeur .
Après être demeuré pendant un moment comme écrasé sous le poids de ses idées , il s' arracha à son bonheur , rentra chez lui , ne mangea pas , ne dormit point .
Le lendemain , il entra dans son atelier pour n' en sortir qu' après avoir déposé sur une toile la magie de cette scène dont le souvenir l' avait en quelque sorte fanatisé .
Sa félicité fut incomplète tant qu' il ne posséda pas un fidèle portrait de son idole . Il passa plusieurs fois devant la maison du Chat - qui - pelote ; il osa même y entrer une ou deux fois sous le masque d' un déguisement , afin de voir de plus près la ravissante créature que Mme Guillaume couvrait de son aile .

MAISON CHAT PELOTE (I, privé)
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