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l' enseigne est changée , c' est vrai , mais le vin est toujours le même ! AUJOURD' HUI n' est que le cadet d' HIER . Allez ! mettez ça dans vout' journiau !
Est - ce que nous sommes affranchis ? nous appartenons toujours au même village , et le seigneur est toujours là , je l' appelle Travail . La houe , qu' est toute notre chevance , n' a pas quitté nos mains .
Que ce soit pour un seigneur ou pour l' impôt qui prend le plus clair de nos labeurs , faut toujours dépenser not' vie en sueurs ...
- Mais vous pouvez choisir un état , tenter ailleurs la fortune , dit Blondet .
- Vous me parlez d' allez quérir la fortune ? ... Où donc irais - je ? Pour franchir mon département , il me faut un passeport , qui coûte quarante sous ! V' là quarante ans que je n' ai pas pu me voir une gueuse ed' pièce de quarante sous sonnant dans mes poches avec une voisine .
Pour aller devant soi , il faut autant d' écus que l' on trouve de villages , et il n' y a pas beaucoup de Fourchon qui aient de quoi visiter six villages ! Il n' y a que la conscription qui nous tire ed' nos communes .
Et à quoi nous sert l' armée ? à faire vivre les colonels par le soldat , comme le bourgeois vit par le paysan .
Compte - t - on sur cent un colonel sorti de nos flancs ? C' est là , comme dans le monde , un enrichi pour cent aut' qui tombent .
Faute de quoi tombent - ils ? ... Dieu le sait et l' zusuriers aussi ! Ce que nous avons de mieux à faire est donc de rester dans nos communes , où nous sommes parqués comme des moutons par la force des choses , comme nous l' étions par les seigneurs .
Et je me moque bien de ce qui m' y cloue .
Cloué par la loi de la Nécessité , cloué par celle de la Seigneurie , on est toujours condamné à perpétuité à la tarre .
Là où nous sommes , nous la creusons la tarre et nous la bêchons , nous la fumons et nous la travaillons pour vous autres qu' êtes nés riches , comme nous sommes nés pauvres .
La masse sera toujours la même , elle reste ce qu' elle est ... Les gens de chez nous qui s' élèvent ne sont pas si nombreux que ceux de chez vous qui dégringolent ! ... Nous savons ben ça , si nous ne sommes pas savants .
Faut pas nous faire nout procès à tout moment .
Nous vous laissons tranquilles , laissez - nous vivre ...
Autrement , si ça continue , vous serez forcés de nous nourrir dans vos prisons où l' on est mieux que sur nout paille . Vous voulez rester les maîtres , nous serons toujours ennemis , aujourd' hui
LES PAYSANS (IX, campagn)
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