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Elle était de ces filles qui , par l' absence de tout lien physique avec leurs parents , font croire à ce dicton de prude : Dieu donne les enfants . Augustine était petite , ou , pour la mieux peindre , mignonne . Gracieuse et pleine de candeur , un homme du monde n' aurait pu reprocher à cette charmante créature que des gestes mesquins ou certaines attitudes communes , et parfois de la gêne .
Sa figure silencieuse et immobile respirait cette mélancolie passagère qui s' empare de toutes les jeunes filles trop faibles pour oser résister aux volontés d' une mère .
Toujours modestement vêtues , les deux soeurs ne pouvaient satisfaire la coquetterie innée chez la femme que par un luxe de propreté qui leur allait à merveille et les mettait en harmonie avec ces comptoirs luisants , avec ces rayons sur lesquels le vieux domestique ne souffrait pas un grain de poussière , avec la simplicité antique de tout ce qui se voyait autour d' elles .
Obligées par leur genre de vie à chercher des éléments de bonheur dans des travaux obstinés , Augustine et Virginie n' avait donné jusqu' alors que du contentement à leur mère , qui s' applaudissait secrètement de la perfection du caractère de ses deux filles .
Il est facile d' imaginer les résultats de l' éducation qu' elles avaient reçue .
Élevées pour le commerce , habituées à n' entendre que des raisonnements et des calculs tristement mercantiles , n' ayant étudié que la grammaire , la tenue des livres , un peu d' histoire juive , l' histoire de France dans Le Ragois , et ne lisant que les auteurs dont la lecture leur était permise par leur mère , leurs idées n' avaient pas pris beaucoup d' étendue : elles savaient parfaitement tenir un ménage , elles connaissaient le prix des choses , elles appréciaient les difficultés que l' on éprouve à amasser l' argent , elles étaient économes et portaient un grand respect aux qualités du négociant .
Malgré la fortune de leur père , elles étaient aussi habiles à faire des reprises qu' à festonner ; souvent leur mère parlait de leur apprendre la cuisine afin qu' elles sussent bien ordonner un dîner , et pussent gronder une cuisinière en connaissance de cause .
Ignorant les plaisirs du monde et voyant comment s' écoulait la vie exemplaire de leurs parents , elles ne jetaient que bien rarement leurs regards au delà de l' enceinte de cette vieille maison patrimoniale qui , pour leur mère , était l' univers .

MAISON CHAT PELOTE (I, privé)
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