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La santé débordait dans cette nature plantureuse , la vieillesse et l' enfance y étaient belles ; enfin il y avait dans tous ces types d' existence un laisser - aller primordial , une routine de bonheur qui donnait un démenti à nos capucinades philosophiques , et guérissait le coeur de ses passions boursouflées . Le vieillard appartenait aux modèles affectionnés par les mâles pinceaux de Schnetz ; c' était un visage brun dont les rides nombreuses paraissaient rudes au toucher , un nez droit , des pommettes saillantes et veinées de rouge comme une vieille feuille de vigne , des contours anguleux , tous les caractères de la force , même là où la force avait disparu ; ses mains calleuses , quoiqu' elles ne travaillassent plus , conservaient un poil blanc et rare ; son attitude d' homme vraiment libre faisait pressentir qu' en Italie il serait peut - être devenu brigand par amour pour sa précieuse liberté .
L' enfant , véritable montagnard , avait des yeux noirs qui pouvaient envisager le soleil sans cligner , un teint de bistre , des cheveux bruns en désordre .
Il était leste et décidé , naturel dans ses mouvements comme un oiseau ; mal vêtu , il laissait voir une peau blanche et fraîche à travers les déchirures de ses habits .
Tous deux restèrent debout et en silence , l' un près de l' autre , mus par le même sentiment , offrant sur leur physionomie la preuve d' une identité parfaite dans leur vie également oisive .
Le vieillard avait épousé les jeux de l' enfant , et l' enfant l' humeur du vieillard par une espèce de pacte entre deux faiblesses , entre une force près de finir et une force près de se déployer .
Bientôt une femme âgée d' environ trente ans apparut sur le seuil de la porte .
Elle filait en marchant .
C' était une Auvergnate , haute en couleur , l' air réjoui , franche , à dents blanches , figure de l' Auvergne , taille d' Auvergne , coiffure , robe de l' Auvergne , seins rebondis de l' Auvergne , et son parler ; une idéalisation complète du pays , moeurs laborieuses , ignorance , économie , cordialité , tout y était .
Elle salua Raphaël , ils entrèrent en conversation ; les chiens s' apaisèrent , le vieillard s' assit sur un banc au soleil , et l' enfant suivit sa mère partout où elle alla , silencieux , mais écoutant , examinant l' étranger .
" Vous n' avez pas peur ici , ma bonne femme ?
- Et d' où que nous aurions peur , monsieur ? Quand nous barrons l' entrée , qui donc pourrait venir ici ? Oh ! nous n' avons point peur ! D' ailleurs , dit - elle en faisant entrer le marquis dans la grande chambre de la maison , qu' est - ce que les voleurs viendraient donc prendre chez nous ? "

PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
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