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Je dois lui donner sa robe de chambre , toujours faite de la même façon et de la même étoffe . Je suis obligé de la remplacer quand elle ne pourra plus servir , rien que pour lui éviter la peine d' en demander une neuve . C' te imagination ! Au fait , il a mille francs à manger par jour , il fait ce qu' il veut , ce cher enfant . D' ailleurs , je l' aime tant , qu' il me donnerait un soufflet sur la joue droite , je lui tendrais la gauche ! Il me dirait de faire des choses plus difficiles , je les ferais encore , entendez - vous ? Au reste , il m' a chargé de tant de vétilles , que j' ai de quoi m' occuper .
Il lit les journaux , pas vrai ? Ordre de les mettre au même endroit , sur la même table .
Je viens aussi , à la même heure , lui faire moi - même la barbe et je ne tremble pas . Le cuisinier perdrait mille écus de rente viagère qui l' attendent après la mort de monsieur , si le déjeuner ne se trouvait pas inconciliablement servi devant monsieur , à dix heures , tous les matins , et le dîner à cinq heures précises .
Le menu est dressé pour l' année entière , jour par jour .
M . le marquis n' a rien à souhaiter . Il a des fraises quand il y a des fraises , et le premier maquereau qui arrive à Paris , il le mange . Le programme est imprimé , il sait le matin son dîner par coeur .
Pour lors , il s' habille à la même heure avec les mêmes habits , le même linge , posés toujours par moi , entendez - vous ? sur le même fauteuil . Je dois encore veiller à ce qu' il ait toujours le même drap ; en cas de besoin , si sa redingote s' abîme , une supposition , la remplacer par une autre , sans lui en dire un mot .
S' il fait beau , j' entre et je dis à mon maître : " Vous devriez sortir , monsieur ? " Il me répond oui , ou non .
S' il a idée de se promener , il n' attend pas ses chevaux , ils sont toujours attelés ; le cocher reste inconciliablement , fouet en main , comme vous le voyez là .
Le soir , après le dîner , monsieur va un jour à l' Opéra et l' autre aux Ital ... mais non , il n' est pas encore allé aux Italiens , je n' ai pu me procurer une loge qu' hier . Puis , il rentre à onze heures précises pour se coucher .
Pendant les intervalles de la journée où il ne fait rien , il lit , il lit toujours , voyez - vous ? une idée qu' il a . J' ai ordre de lire avant lui le Journal de la librairie , afin d' acheter des livres nouveaux , afin qu' il les trouve le jour même de leur vente sur sa cheminée .
J' ai la consigne d' entrer d' heure en heure chez lui , pour veiller au feu , à tout , pour voir à ce que rien ne lui manque ; il m' a donné , monsieur , un petit livre à apprendre par coeur , et où sont écrits tous mes devoirs , un vrai catéchisme .

PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
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