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JE DEVAIS ! Devoir , est - ce donc s' appartenir ? D' autres hommes ne pouvaient - ils pas me demander compte de ma vie ? pourquoi j' avais mangé des puddings à la chipolata , pourquoi je buvais à la glace ? pourquoi je dormais , marchais , pensais , m' amusais sans les payer ? Au milieu d' une poésie , au sein d' une idée , ou à déjeuner , entouré d' amis , de joie , de douces railleries , je pouvais voir entrer un monsieur en habit marron , tenant à la main un chapeau râpé .
Ce monsieur sera ma dette , ce sera ma lettre de change , un spectre qui flétrira ma joie , me forcera de quitter la table pour lui parler ; il m' enlèvera ma gaieté , ma maîtresse , tout jusqu' à mon lit .
Le remords est plus tolérable , il ne nous met ni dans la rue ni à Sainte - Pélagie , il ne nous plonge pas dans cette exécrable sentine du vice , il ne nous jette qu' à l' échafaud où le bourreau anoblit : au moment de notre supplice , tout le monde croit à notre innocence ; tandis que la société ne laisse pas une vertu au débauche sans argent .
Puis ces dettes à deux pattes , habillées de drap vert , portant des lunettes bleues ou des parapluies multicolores ; ces dettes incarnées avec lesquelles nous nous trouvons face à face au coin d' une rue , au moment où nous sourions , ces gens allaient avoir l' horrible privilège de dire : " M .
de Valentin me doit et ne me paie pas .
Je le tiens . Ah ! qu' il n' ait pas l' air de me faire mauvaise mine ! " Il faut saluer nos créanciers , les saluer avec grâce .
" Quand me paierez - vous ? " disent - ils . Et nous sommes dans l' obligation de mentir , d' implorer un autre homme pour de l' argent , de nous courber devant un sot assis sur sa caisse , de recevoir son froid regard , son regard de sangsue plus odieux qu' un soufflet , de subir sa morale de Barême et sa crasse ignorance .
Une dette est une oeuvre d' imagination qu' ils ne comprennent pas des élans de l' âme entraînent , subjuguent souvent un emprunteur , tandis que rien de grand ne subjugue , rien de généreux ne guide ceux qui vivent dans l' argent et ne connaissent que l' argent .
J' avais horreur de l' argent .
Enfin la lettre de change peut se métamorphoser en vieillard chargé de famille , flanqué de vertus . Je devrais peut - être à un vivant tableau de Greuze , à un paralytique environné d' enfants , à la veuve d' un soldat , qui tous me tendront des mains suppliantes .
Terribles créanciers avec lesquels il faut pleurer , et quand nous les avons payés , nous leur devons encore des secours .
PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
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