----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Bientôt la Débauche m' apparut dans toute la majesté de son horreur , et je la compris ! Certes les hommes sages et rangés qui étiquettent des bouteilles pour leurs héritiers ne peuvent guère concevoir ni la théorie de cette large vie , ni son état normal ; en inculquerez - vous la poésie aux gens de province pour qui l' opium et le thé , si prodigues de délices , ne sont encore que deux médicaments ? à Paris même , dans cette capitale de la pensée , ne se rencontre - t - il pas des sybarites incomplets ? Inhabiles à supporter l' excès du plaisir , ne s' en vont - ils pas fatigués après une orgie , comme le sont ces bons bourgeois qui , après avoir entendu quelque nouvel opéra de Rossini , condamnent la musique ? Ne renoncent - ils pas à cette vie , comme un homme sobre ne veut plus manger de pâtés de Ruffec , parce que le premier lui a donné une indigestion ? La débauche est certainement un art comme la poésie , et veut des âmes fortes .
Pour en saisir les mystères , pour en savourer les beautés , un homme doit en quelque sorte s' adonner à de consciencieuses études .
Comme toutes les sciences , elle est d' abord repoussante , épineuse . D' immenses obstacles environnent les grands plaisirs de l' homme , non ses jouissances de détail , mais les systèmes qui érigent en habitude ses sensations les plus rares , les résument , les lui fertilisent en lui créant une vie dramatique dans sa vie , en nécessitant une exorbitante , une prompte dissipation de ses forces .
La Guerre , le Pouvoir , les Arts sont des corruptions mises aussi loin de la portée humaine , aussi profondes que l' est la débauche , et toutes sont de difficile accès .
Mais quand une fois l' homme est monté à l' assaut de ces grands mystères , ne marche - t - il pas dans un monde nouveau ? Les généraux , les ministres , les artistes sont tous plus ou moins portés vers la dissolution par le besoin d' opposer de violentes distractions à leur existence si fort en dehors de la vie commune .
Après tout , la guerre est la débauche du sang , comme la politique est celle des intérêts .
Tous les excès sont frères .
Ces monstruosités sociales possèdent la puissance des abîmes , elles nous attirent comme Saint - Hélène appelait Napoléon ; elles donnent des vertiges , elles fascinent , et nous voulons en voir le fond sans savoir pourquoi .
La pensée de l' infini existe peut - être dans ces précipices , peut - être renferment - ils quelque grande flatterie pour l' homme ; n' intéresse - t - il pas alors tout à lui - même ? Pour contraster avec le paradis de ses heures studieuses , avec les délices de la conception , l' artiste fatigué demande , soit comme Dieu le repos du dimanche , soit comme le diable les voluptés de l' enfer , afin d' opposer le travail des sens au travail de ses facultés .
Le délassement de Lord Byron ne pouvait pas être le boston babillard qui charme un rentier ; poète , il voulait la Grèce à jouer contre Mahmoud .

PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
Page: 196