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Ah ! quelquefois un crime doit être tout un poème , je l' ai compris . Familiarisée sans doute avec les déclarations les plus passionnées , elle avait déjà oublié mes larmes et mes paroles . " Épouseriez - vous un pair de France ? lui demandai - je froidement .
- Peut - être , s' il était duc . " Je pris mon chapeau , je la saluai . " Permettez - moi de vous accompagner jusqu' à la porte de mon appartement , dit - elle en mettant une ironie perçante dans son geste , dans la pose de sa tête et dans son accent .
- Madame . - Monsieur . - Je ne vous verrai plus . - Je l' espère , répondit - elle en inclinant la tête avec une impertinente expression . - Vous voulez être duchesse ? repris - je animé par une sorte de frénésie que son geste alluma dans mon coeur .
Vous êtes folle de titres et d' honneurs ? Eh bien , laissez - vous seulement aimer par moi , dites à ma plume de ne parler , à ma voix de ne retenir que pour vous , soyez le principe secret de ma vie , soyez mon étoile ! Puis ne m' acceptez pour époux que ministre , pair de France , duc .
Je me ferai tout ce que vous voudrez que je sois ! - Vous avez , dit - elle en souriant , assez bien employé votre temps chez l' avoué , vos plaidoyers ont de la chaleur .
- Tu as le présent , m' écriai - je , et moi l' avenir . Je ne perds qu' une femme , et tu perds un nom , une famille .
Le temps est gros de ma vengeance , il t' apportera la laideur et une mort solitaire , à moi la gloire ! - Merci de la péroraison ! " dit - elle en retenant un bâillement et témoignant par son attitude le désir de ne plus me voir .
Ce mot m' imposa silence . Je lui jetai ma haine dans un regard et je m' enfuis . Il fallait oublier Foedora , me guérir de ma folie , reprendre ma studieuse solitude ou mourir .
Je m' imposai donc des travaux exorbitants , je voulus achever mes ouvrages . Pendant quinze jours , je ne sortis pas de ma mansarde , et consumai toutes mes nuits en de pâles études .
Malgré mon courage et les inspirations de mon désespoir , je travaillais difficilement , par saccades . La muse avait fui . Je ne pouvais chasser le fantôme brillant et moqueur de Foedora .
Chacune de mes pensées couvait une autre pensée maladive , je ne sais quel désir , terrible comme un remords . J' imitai les anachorètes de la Thébaïde . Sans prier comme eux , comme eux je vivais dans un désert , creusant mon âme au lieu de creuser des rochers .

PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
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