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Son plus cruel chagrin était de laisser Pauline sans éducation , sa Pauline , filleule de la princesse Borghèse , et qui n' aurait pas dû mentir aux belles destinées promises par son impériale protectrice . Quand Mme Gaudin me confia cette amère douleur qui la tuait , et me dit avec un accent déchirant : " Je donnerais bien et le chiffon de papier qui crée Gaudin baron de l' Empire , et le droit que nous avons à la dotation de Wistchnau , pour savoir Pauline élevée à Saint - Denis ! " tout à coup je tressaillis , et pour reconnaître les soins que me prodiguaient ces deux femmes , j' eus l' idée de m' offrir a finir l' éducation de Pauline .
La candeur avec laquelle ces deux femmes acceptèrent ma proposition fut égale à la naïveté qui la dictait .
J' eus ainsi des heures de récréation .
La petite avait les plus heureuses dispositions , elle apprit avec tant de facilité qu' elle devint bientôt plus forte que je ne l' étais sur le piano . En s' accoutumant à penser tout haut près de moi , elle déployait les mille gentillesses d' un coeur qui s' ouvre à la vie comme le calice d' une fleur lentement dépliée par le soleil , elle m' écoutait avec recueillement et plaisir en arrêtant sur moi ses yeux noirs et veloutés qui semblaient sourire , elle répétait ses leçons d' un accent doux et caressant en témoignant une joie enfantine quand j' étais content d' elle .
Sa mère , chaque jour plus inquiète d' avoir à préserver de tout danger une jeune fille qui développait en croissant toutes les promesses faites par les grâces de son enfance , la vit avec plaisir s' enfermant pendant toute la journée pour étudier .
Mon piano étant le seul dont elle put se servir , elle profitait de mes absences pour s' exercer .
Quand je rentrais , je trouvais Pauline chez moi , dans la toilette la plus modeste ; mais au moindre mouvement , sa taille souple et les attraits de sa personne se révélaient sous l' étoffe grossière .
Comme l' héroïne du conte de Peau d' âne , elle laissait voir un pied mignon dans d' ignobles souliers .
Mais ces jolis trésors , cette richesse de jeune fille , tout ce luxe de beauté fut comme perdu pour moi .
Je m' étais ordonné à moi - même de ne voir qu' une soeur en Pauline , j' aurais eu horreur de tromper la confiance de sa mère , j' admirais cette charmante fille comme un tableau , comme le portrait d' une maîtresse morte .

PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
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