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Tu y seras accueilli comme un frère , nous t' y saluerons roi de ces esprits frondeurs que rien n' épouvante , dont la perspicacité découvre les intentions de l' Autriche , de l' Angleterre ou de la Russie , avant que la Russie , l' Angleterre ou l' Autriche n' aient des intentions ! Oui , nous t' instituerons le souverain de ces puissances intelligentes qui fournissent au monde les Mirabeau , les Talleyrand , les Pitt , les Metternich , enfin tous ces hardis Crispins qui jouent entre eux les destinées d' un empire comme les hommes vulgaires jouent leur kirschen - wasser aux dominos . Nous t' avons donné pour le plus intrépide compagnon qui jamais ait étreint corps à corps la Débauche , ce monstre admirable avec lequel veulent lutter tous les esprits forts ; nous avons même affirmé qu' il ne t' a pas encore vaincu .
J' espère que tu ne feras pas mentir nos éloges .
Taillefer , notre amphitryon , nous a promis de surpasser les étroites saturnales de nos petits Lucullus modernes . Il est assez riche pour mettre de la grandeur dans les petitesses , de l' élégance et de la grâce dans le vice .
Entends - tu , Raphaël ? lui demanda l' orateur en s' interrompant .
- Oui " , répondit le jeune homme moins étonné de l' accomplissement de ses souhaits que surpris de la manière naturelle par laquelle les événements s' enchaînaient . Quoiqu' il lui fût impossible de croire à une influence magique , il admirait les hasards de la destinée humaine .
" Mais tu nous dis oui , comme si tu pensais à la mort de son grand - père , lui répliqua l' un de ses voisins .
- Ah ! reprit Raphaël avec un accent de naïveté qui fit rire ces écrivains , l' espoir de la jeune France , je pensais , mes amis , que nous voilà près de devenir de bien grands coquins ! Jusqu' à présent nous avons fait de l' impiété entre deux vins , nous avons pesé la vie étant ivres , nous avons prisé les hommes et les choses en digérant .
Vierges du fait , nous étions hardis en paroles ; mais marqués maintenant par le fer chaud de la politique , nous allons entrer dans ce grand bagne et y perdre nos illusions .
Quand on ne croit plus qu' au diable , il est permis de regretter le paradis de la jeunesse , le temps d' innocence où nous tendions dévotement la langue à un bon prêtre , pour recevoir le sacré corps de notre Seigneur Jésus - Christ .
Ah ! mes bons amis , si nous avons eu tant de plaisir à commettre nos premiers péchés , c' est que nous avions des remords pour les embellir et leur donner du piquant , de la saveur ; tandis que maintenant ...
- Oh ! maintenant , reprit le premier interlocuteur , il nous reste ...
- Quoi ? dit un autre .
PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
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