----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Les vitres ayant retenti d' un claquement sourd , il pensa que cette froide caresse digne des mystères de la tombe venait de quelque chauve - souris . Pendant un moment encore , les vagues reflets du couchant lui permirent d' apercevoir indistinctement les fantômes par lesquels il était entouré ; puis toute cette nature morte s' abolit dans une même teinte noire .
La nuit , l' heure de mourir était subitement venue . Il s' écoula , dès ce moment , un certain laps de temps pendant lequel il n' eut aucune perception claire des choses terrestres , soit qu' il se fût enseveli dans une rêverie profonde , soit qu' il eût cédé à la somnolence provoquée par ses fatigues et par la multitude des pensées qui lui déchiraient le coeur .
Tout à coup il crut avoir été appelé par une voix terrible , et il tressaillit comme lorsqu' au milieu d' un brûlant cauchemar nous sommes précipités d' un seul bond dans les profondeurs d' un abîme .
Il ferma les yeux , les rayons d' une vive lumière l' éblouissaient ; il voyait briller au sein des ténèbres une sphère rougeâtre dont le centre était occupé par un petit vieillard qui se tenait debout et dirigeait sur lui la clarté d' une lampe .
Il ne l' avait entendu ni venir , ni parler , ni se mouvoir .
Cette apparition eut quelque chose de magique . L' homme le plus intrépide , surpris ainsi dans son sommeil , aurait sans doute tremblé devant ce personnage qui semblait être sorti d' un sarcophage voisin .
La singulière jeunesse qui animait les yeux immobiles de cette espèce de fantôme empêchait l' inconnu de croire à des effets surnaturels ; néanmoins , pendant le rapide intervalle qui sépara sa vie somnambulique de sa vie réelle , il demeura dans le doute philosophique recommandé par Descartes , et fut alors , malgré lui , sous la puissance de ces inexplicables hallucinations dont les mystères sont condamnés par notre fierté ou que notre science impuissante tâche en vain d' analyser .
Figurez - vous un petit vieillard sec et maigre , vêtu d' une robe en velours noir , serrée autour de ses reins par un gros cordon de soie . Sur sa tête , une calotte en velours également noir laissait passer , de chaque côté de la figure , les longues mèches de ses cheveux blancs et s' appliquait sur le crâne de manière à rigidement encadrer le front .
La robe ensevelissait le corps comme dans un vaste linceul , et ne permettait de voir d' autre forme humaine qu' un visage étroit et pâle .

PEAU DE CHAGRIN (X, philo)
Page: 77