----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

" Ne vous engagez pas ainsi , vis - à - vis de vous - même , je vous en supplie , dit La Peyrade , car il s' agit du bonheur de votre cher Félix .
- Qu' entendez - vous par ces paroles ? ... reprit Phellion en s' arrêtant au milieu de son salon et s' y reposant , la main passée dans son gilet de droite à gauche , un geste imité du célèbre Odilon Barrot .
- Mais je viens pour notre ami commun , le digne et excellent M . Thuillier dont l' influence sur les destinées de la belle Modeste Colleville vous est assez connue , et si comme je le pense votre fils , un jeune homme qui rendrait fières toutes les familles , et dont le mérite est incontestable , courtise Modeste dans des vues honorables , vous ne sauriez rien faire de mieux pour vous concilier l' éternelle reconnaissance de Thuillier que de le proposer aux suffrages de nos concitoyens .
Quant à moi , nouveau venu dans le quartier , malgré l' influence que m' y donne quelque bien fait dans les classes pauvres , je pouvais prendre sur moi cette démarche , mais servir les pauvres gens vaut peu de crédit sur les plus forts imposés , et d' ailleurs la modestie de ma vie s' accommoderait peu de cet éclat .
Je me suis consacré , môsieur , au service des petits , comme feu le conseiller Popinot , homme sublime , comme vous le disiez , et si je n' avais pas une destinée en quelque sorte religieuse et qui s' accommode peu des obligations du mariage , mon goût , ma seconde vocation serait pour le service de Dieu , pour l' Église ... Je ne fais pas de tapage , comme font les faux philanthropes , je n' écris pas , j' agis , car je suis un homme voué tout bonnement à la charité chrétienne ... J' ai cru deviner l' ambition de notre ami Thuillier , et j' ai voulu contribuer au bonheur de deux êtres faits l' un pour l' autre en vous offrant les moyens de vous donner accès dans le coeur un peu froid de Thuillier .
"
Phellion fut confondu par cette tirade admirablement bien débitée , il fut ébloui , saisi ; mais il resta Phellion , il alla droit à l' avocat , lui tendit la main et La Peyrade lui donna la sienne . Tous deux ils se donnèrent une de ces solides poignées de main comme il s' en est donné , vers août 1830 , entre la Bourgeoisie et les hommes du lendemain .

LES PETITS BOURGEOIS (VIII, paris)
Page: 93