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" Enfin , mon Étienne , mon ange , je suis à toi pour la vie ! s' écria Dinah en lui sautant au cou et l' étreignant pendant qu' il mettait la clef en dedans . La vie était une agonie perpétuelle pour moi dans ce château d' Anzy , je n' y tenais plus , et , le jour où il a fallu déclarer ce qui fait mon bonheur , eh bien , je ne m' en suis jamais senti la force . Je t' amène ta femme et ton enfant ! Oh ! ne pas m' écrire ! me laisser deux mois sans nouvelles ! ...
- Mais , Dinah ! tu me mets dans un embarras ...
- M' aimes - tu ?
- Comment ne t' aimerais - je pas ? ... Mais ne valait - il pas mieux rester à Sancerre ... Je suis ici dans la plus profonde misère , et j' ai peur de te la faire partager ...
- Ta misère sera le paradis pour moi . Je veux vivre ici , sans jamais en sortir ...
- Mon Dieu , c' est joli en paroles , mais ... " Dinah s' assit et fondit en larmes en entendant cette phrase dite avec brusquerie . Lousteau ne put résister à cette explosion , il serra la baronne dans ses bras , et l' embrassa .
" Ne pleure pas , Didine ! " s' écria - t - il . En lâchant cette phrase , le feuilletoniste aperçut dans la glace le fantôme de Mme Cardot , qui , du fond de la chambre , le regardait . " Allons , Didine , va toi - même avec Paméla voir à déballer tes malles , lui dit - il à l' oreille .
Va , ne pleure pas , nous serons heureux . " Il la conduisit jusqu' à la porte , et revint vers la notaresse pour conjurer l' orage .
" Monsieur , lui dit Mme Cardot , je m' applaudis d' avoir voulu voir par moi - même le ménage de celui qui devait être mon gendre . Dût ma Félicie en mourir , elle ne sera pas la femme d' un homme tel que vous . Vous vous devez au bonheur de votre Didine , monsieur . "
Et la dévote sortit en emmenant Félicie qui pleurait aussi , car Félicie s' était habituée à Lousteau . L' affreuse Mme Cardot remonta dans son urbaine en regardant avec une insolente fixité la pauvre Dinah , qui sentait encore dans son coeur le coup de poignard du : " C' est joli en paroles " ; mais qui , semblable à toutes les femmes aimantes , croyait néanmoins au : " Ne pleure pas , Didine ! " Lousteau , qui ne manquait pas de cette espèce de résolution que donnent les hasards d' une vie agitée , se dit : " Didine a de la noblesse , une fois prévenue de mon mariage , elle s' immolera à mon avenir , et je sais comment m' y prendre pour l' en instruire .

MUSE DU DEPARTEMENT (IV, provinc)
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