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Dinah plaida pour obtenir un jour de plus , et les deux amants se firent leurs adieux à la manière de ces théâtres qui donnent dix fois de suite la dernière représentation d' une pièce à recettes . Mais combien de promesses échangées ! combien de pactes solennels exigés par Dinah et conclus sans difficultés par l' impudent journaliste ! Avec la supériorité d' une femme supérieure , Dinah conduisit , au vu et au su de tout le pays , Lousteau jusqu' à Cosne , en compagnie de sa mère et du petit La Baudraye . Quand , dix jours après , Mme de La Baudraye eut dans son salon à La Baudraye MM . de Clagny , Gatien et Gravier , elle trouva moyen de dire audacieusement à chacun d' eux : " Je dois à M .
Lousteau d' avoir su que je n' étais pas aimée pour moi - même . " Et quelles belles tartines elle débita sur les hommes , sur la nature de leurs sentiments , sur le but de leur vil amour , etc .
Des trois amants de Dinah , M . de Clagny , seul , lui dit : " je vous aime quand même ! ... " aussi Dinah le prit - elle pour confident et lui prodigua - t - elle toutes les douceurs d' amitié que les femmes confisent pour les Gurth qui portent ainsi le collier d' un esclavage adoré .
De retour à Paris , Lousteau perdit en quelques semaines le souvenir des beaux jours passés au château d' Anzy . Voici pourquoi . Lousteau vivait de sa plume . Dans ce siècle , et surtout depuis le triomphe d' une Bourgeoisie qui se garde bien d' imiter François 1er ou Louis XIV , vivre de sa plume est un travail auquel se refuseraient les forçats , ils préféreraient la mort .
Vivre de sa plume , n' est - ce pas créer ? créer aujourd' hui , demain , toujours ... ou avoir l' air de créer ; or le semblant coûte aussi cher que le réel ! Outre son feuilleton dans un journal quotidien qui ressemblait au rocher de Sisyphe et qui tombait tous les lundis sur la barbe de sa plume , Étienne travaillait à trois ou quatre journaux littéraires .
Mais , rassurez - vous ! il ne mettait aucune conscience d' artiste à ses productions .
Le Sancerrois appartenait , par sa facilité , par son insouciance , si vous voulez , à ce groupe d' écrivains appelés du nom de faiseurs ou hommes de métier .
En littérature , à Paris , de nos jours , le métier est une démission donnée de toutes prétentions à une place quelconque .
Lorsqu' il ne peut plus ou qu' il ne veut plus rien être , un écrivain se fait faiseur . On mène alors une vie assez agréable . Les débutants , les bas - bleus , les actrices qui commencent et celles qui finissent leur carrière , auteurs et libraires caressent ou choient ces plumes à tout faire .
Lousteau , devenu viveur , n' avait plus guère que son loyer à payer en fait de dépenses .

MUSE DU DEPARTEMENT (IV, provinc)
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