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SPLEEN
Des vers de moi chétif et perdu dans la foule
De ce monde égoïste où tristement je roule ,
Sans m' attacher à rien ;
Qui ne vis s' accomplir jamais une espérance ,
Et dont l' oeil , affaibli par la morne souffrance ,
Voit le mal sans le bien !
Cet album , feuilleté par les doigts d' une femme ,
Ne doit pas s' assombrir au reflet de mon âme .
Chaque chose en son lieu :
Pour une femme , il faut parler d' amour , de joie ,
De bals resplendissants , de vêtements de soie ,
Et même un peu de Dieu .
Ce serait exercer sanglante raillerie
Que de me dire , à moi , fatigué de la vie :
Dépeins - nous le bonheur ?
Au pauvre aveugle - né vante - t - on la lumière ,
à l' orphelin pleurant parle - t - on d' une mère ,
Sans leur briser le coeur ?
Quand le froid désespoir vous prend jeune en ce monde ,
Quand on n' y peut trouver un coeur qui vous réponde ,
Il n' est plus d' avenir .
Si personne avec vous quand vous pleurez ne pleure ,
Quand il n' est pas aimé , s' il faut qu' un homme meure ,
Bientôt je dois mourir .
Plaignez - moi ! plaignez - moi ! car souvent je blasphème
Jusqu' au nom saint de Dieu , me disant en moi - même :
Il n' a pour moi rien fait .
Pourquoi le bénirais - je , et que lui dois - je en somme ?
Il eût pu me créer beau , riche , gentilhomme ,
Et je suis pauvre et laid !
ÉTIENNE LOUSTEAU .
Septembre 1836 , château d' Anzy .
" Et vous avez composé ces vers depuis hier ? ... s' écria le procureur du Roi d' un ton défiant .
MUSE DU DEPARTEMENT (IV, provinc)
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