----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Nous attaquons alors de nos dents acérées comme des dents de mulot , les terribles passions de Paris . Nous avons ici des puritaines à contrecoeur qui déchirent les dentelles de la coquetterie et rongent la poésie de vos beautés parisiennes , qui entament le bonheur d' autrui en vantant leurs noix et leur lard rances , en exaltant leur trou de souris économe , les couleurs grises et les parfums monastiques de notre belle vie sancerroise .
- J' aime ce courage , madame , dit Bianchon . Quand on éprouve de tels malheurs , il faut avoir l' esprit d' en faire des vertus . "
Stupéfait de la brillante manoeuvre par laquelle Dinah livrait la province à ses hôtes dont les sarcasmes étaient ainsi prévenus , Gatien Boirouge poussa le coude à Lousteau en lui lançant un regard et un sourire qui disaient : Hein ? vous ai - je trompés ?
" Mais , madame , dit Lousteau , vous nous prouvez que nous sommes encore à Paris , je vous volerai cette tartine , elle me vaudra dix francs dans mon feuilleton ...
- Oh ! monsieur , répliqua - t - elle , défiez - vous des femmes de province .
- Et pourquoi ? " dit Lousteau .
Mme de La Baudraye eut la rouerie , assez innocente d' ailleurs , de signaler à ces deux Parisiens , entre lesquels elle voulait choisir un vainqueur , le piège où il se prendrait , en pensant qu' au moment où il ne le verrait plus , elle serait la plus forte .
" On se moque d' elles en arrivant , puis quand on a perdu le souvenir de l' éclat parisien , en voyant la femme de province dans sa sphère , on lui fait la cour , ne fût - ce que par passe - temps . Vous que vos passions ont rendu célèbre , vous serez l' objet d' une attention qui vous flattera ... Prenez garde ! s' écria Dinah en faisant un geste coquet et s' élevant par ces réflexions sarcastiques au - dessus des ridicules de la province et de Lousteau .
Quand une pauvre petite provinciale conçoit une passion excentrique pour une supériorité , pour un Parisien égaré en province , elle en fait quelque chose de plus qu' un sentiment , elle y trouve une occupation et l' étend sur toute sa vie .
Il n' y a rien de plus dangereux que l' attachement d' une femme de province : elle compare , elle étudie , elle réfléchit , elle rêve , elle n' abandonne point son rêve , elle pense à celui qu' elle aime quand celui qu' elle aime ne pense plus à elle .

MUSE DU DEPARTEMENT (IV, provinc)
Page: 670