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Ces dignes bêtes formaient une assemblée de sujets plus fidèles que ceux à qui s' adressait alors le roi , tous tachetés de blanc , de brun , de noir , ayant chacun leur physionomie absolument comme les soldats de Napoléon , allumant au moindre bruit leurs prunelles d' un feu qui les faisait ressembler à des diamants , l' un , venu du Poitou court de reins , large d' épaules , bas jointé , coiffé de longues oreilles ; l' autre , venu d' Angleterre , blanc , levretté , peu de ventre , à petites oreilles et taillé pour la course ; tous les jeunes impatients et prêts à tapager , tandis que les vieux , marqués de cicatrices , étendus , calmes , la tête sur les deux pattes de devant , écoutaient la terre comme des sauvages .
En voyant venir les Anglais , les chiens et les gens du roi s' entre - regardèrent en se demandant ainsi sans dire un mot : " Ne chasserons - nous donc pas seuls ? ... Le service de Sa Majesté n' est - il pas compromis ? "
Après avoir commencé par des plaisanteries , la dispute s' était échauffée entre M . Jacquin La Roulie , le vieux chef des piqueurs français , et John Barry , le jeune insulaire .
De loin , les deux princes devinèrent le sujet de cette altercation , et , poussant son cheval , le grand veneur fit tout finir en disant d' une voix impérative : " Qui a fait le bois ? ...
Moi , monseigneur , dit l' Anglais .
Bien " , dit le prince de Cadignan en écoutant le rapport de John Barry .
Hommes et chiens , tous devinrent respectueux pour le grand veneur comme si tous connaissaient également sa dignité suprême . Le prince ordonna la journée ; car il en est d' une chasse comme d' une bataille , et le grand veneur de Charles X fut le Napoléon des forêts .
Grâce à l' ordre admirable introduit dans la vénerie par le premier veneur , il pouvait s' occuper exclusivement de la stratégie et le la haute science .
Il sut assigner à l' équipage du prince de Loudon sa place dans l' ordonnance de la journée , en le réservant , comme un corps de cavalerie , à rabattre le cerf vers l' étang si , selon sa pensée , les meutes royales parvenaient à le jeter dans la forêt de la Couronne qui borde l' horizon en face le château .
Le grand veneur sut ménager l' amour - propre de ses vieux serviteurs en leur confiant la plus rude besogne , et celui de l' Anglais qu' il employait ainsi dans sa spécialité , en lui donnant l' occasion de montrer la puissance des jarrets de ses chiens et de ses chevaux .
Les deux systèmes devaient être alors en présence et faire merveille à l' envi l' un de l' autre .
MODESTE MIGNON (I, privé)
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