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Sur ce mot , la duchesse , femme de taille moyenne , mais un peu trop grasse , comme le sont toutes les femmes de cinquante ans passés qui restent belles , se leva , marcha vers le groupe où se trouvait Diane de Maufrigneuse , en avançant des pieds menus et nerveux comme ceux d' une biche . Sous sa rondeur se révélait l' exquise finesse dont sont douées ces sortes de femmes et que leur donne la vigueur de leur système nerveux qui maîtrise et vivifie le développement de la chair .
On ne pouvait pas expliquer autrement sa légère démarche qui fut d' une noblesse incomparable .
Il n' y a que les femmes dont les quartiers de noblesse commencent à Noé , qui savent , comme Éléonore , être majestueuses , malgré leur embonpoint de fermière .
Un philosophe eût peut - être plaint Philoxène en admirant l' heureuse distribution du corsage et les soins minutieux d' une toilette de matin portée avec une élégance de reine , avec une aisance de jeune personne .
Audacieusement coiffée en cheveux abondants , sans teinture , et nattés sur la tête en forme de tour , Éléonore montrait fièrement son cou de neige , sa poitrine et ses épaules d' un modelé délicieux , ses bras nus éblouissants et terminés par des mains célèbres .
Modeste , comme toutes les antagonistes de la duchesse , reconnut en elle une de ces femmes dont on dit : " C' est notre maîtresse à toutes ! " Et en effet , on reconnaissait en Éléonore une des quelques grandes dames , devenues maintenant si rares en France .
Vouloir expliquer ce qu' il y a d' auguste dans le port de la tête , de fin , de délicat dans telle ou telle sinuosité du cou , d' harmonieux dans les mouvements , de digne dans un maintien , de noble dans l' accord parfait des détails et de l' ensemble , dans ces artifices devenus naturels qui rendent une femme sainte et grande , ce serait vouloir analyser le sublime .
On jouit de cette poésie comme de celle de Paganini , sans s' en expliquer les moyens , car la cause est toujours l' âme qui se rend visible .
La duchesse inclina la tête pour saluer Hélène et sa tante , puis elle dit à Diane d' une voix enjouée , pure sans trace d' émotion : " N' est - il pas temps de nous habiller , duchesse ? " Et elle fit sa sortie , accompagnée de sa belle - fille et de Mlle d' Hérouville , qui toutes deux lui donnèrent le bras .
Elle parla bas en s' en allant avec la vieille fille , qui la pressa sur son coeur en lui disant : " Vous êtes charmante .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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