----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

" De qui donc sont les paroles sur lesquelles tu as fait une si jolie musique ? demanda Mme Mignon à sa fille .
De Canalis , maman , répondit - elle en devenant à l' instant du plus beau cramoisi depuis le cou jusqu' au front .
Canalis ! s' écria le nain à qui l' accent de Modeste et sa rougeur apprirent la seule chose qu' il ignorât encore du secret . Lui , le grand poète , faire des romances ? . . .
C' est dit - elle , de simples stances sur lesquelles j' ai osé plaquer des réminiscences d' airs allemands ...
Non , non , reprit Mme Mignon , c' est de la musique à toi , ma fille ! "
Modeste , se sentant devenir de plus en plus cramoisie , sortit en entraînant Butscha dans le petit jardin .
" Vous pouvez , lui dit - elle à voix basse , me rendre un grand service . Dumay fait le discret avec ma mère et avec moi sur la fortune que mon père rapporte , je voudrais savoir ce qui en est . Dumay , dans le temps , n' a - t - il pas envoyé cinq cent et quelques mille francs à papa ? Mon père n' est pas homme à s' absenter pendant quatre ans pour seulement doubler ses capitaux .
Or , il revient sur un navire à lui , et la part qu' il a faite à Dumay s' élève à près de six cent mille francs .
Ce n' est pas la peine de questionner Dumay , dit Butscha . Monsieur votre père avait perdu , comme vous savez , quatre millions au moment de son départ , il les a sans doute regagnés ; mais il aura dû donner à Dumay dix pour cent de ses bénéfices , et , par la fortune que le digne Breton avoue avoir , nous supposons , mon patron et moi , que celle du colonel monte à six ou sept millions ...
O mon père ! dit Modeste en se croisant les bras sur la poitrine et levant les yeux au ciel , tu m' auras donné deux fois la vie ! ...
Ah ! mademoiselle , dit Butscha , vous aimez un poète ! Ce genre d' homme est plus ou moins Narcisse ! saura - t - il vous bien aimer ? Un ouvrier en phrases occupé d' ajuster des mots est bien ennuyeux . Un poète , mademoiselle , n' est pas plus la poésie que la graine n' est la fleur .
Butscha , je n' ai jamais vu d' homme si beau !

MODESTE MIGNON (I, privé)
Page: 579