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Votre lettre m' a fait connaître d' enivrants plaisirs d' âme , les premiers que je ne devrai pas aux sentiments de la famille . Que sont , comme a dit un poète , les liens du sang qui ont tant de poids sur les âmes ordinaires en comparaison de ceux que nous forge le ciel dans les sympathies mystérieuses ? Laissez - moi vous remercier ... non , l' on ne remercie pas de ces choses ... soyez béni du bonheur que vous m' avez causé ; soyez heureux de la joie que vous avez répandue dans mon âme .
Vous m' avez expliqué quelques apparentes injustices de la vie sociale . Il y a je ne sais quoi de brillant dans la gloire , de mâle qui ne va bien qu' à l' homme , et Dieu nous a défendu de porter cette auréole en nous laissant l' amour , la tendresse pour en rafraîchir les fronts ceints de sa terrible lumière .
J' ai senti ma mission , ou plutôt vous me l' avez confirmée .
" Quelquefois , mon ami , je me suis levée le matin dans un état d' inconcevable douceur . Une sorte de paix , tendre et divine , me donnait l' idée du ciel . Ma première pensée était comme une bénédiction . J' appelais ces matinées mes petits levers d' Allemagne , en opposition avec mes couchers de soleil du Midi , pleins d' actions héroïques , de batailles , de fêtes romaines , et de poèmes ardents .
Eh bien , après avoir lu cette lettre où vous ressentez une fiévreuse impatience , moi j' ai eu dans le coeur la fraîcheur d' un de ces célestes réveils où j' aimais l' air , la nature , et me sentais destinée à mourir pour un être aimé .
Une de vos poésies , le Chant d' une jeune fille , peint ces moments délicieux où l' allégresse est douce , où la prière est un besoin , et c' est mon morceau favori .
Voulez - vous que je vous dise toutes mes flatteries en une seule : je vous crois digne d' être moi ! ...
" Votre lettre , quoique courte , m' a permis de lire en vous . Oui , j' ai deviné vos mouvements tumultueux , votre curiosité piquée , vos projets , tous les fagots apportés ( par qui ? ) pour les bûchers du coeur .
Mais je n' en sais pas encore assez sur vous pour satisfaire à votre demande . Écoutez , cher , le mystère me permet cet abandon qui laisse voir le fond de l' âme . Une fois vue , adieu notre mutuelle connaissance .
Voulez - vous un pacte ? Le premier conclu vous fut - il désavantageux ? vous y avez gagné mon estime . Et c' est beaucoup , mon ami , qu' une admiration qui se double de l' estime .
MODESTE MIGNON (I, privé)
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