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Voilà ce qui m' a révoltée , et je veux faire succéder le mariage légitime à quelque long mariage des âmes . Une jeune fille n' a , dans toute sa vie , que ce moment où la réflexion , la seconde vue , l' expérience lui soient nécessaires . Elle joue sa liberté , son bonheur , et vous ne lui laissez ni le cornet , ni les dés ; elle parie , elle fait galerie .
J' ai le droit , la volonté , le pouvoir , la permission de faire mon malheur moi - même , et j' en use , comme fit ma mère qui , conseillée par l' instinct , épousa le plus généreux , le plus dévoué , le plus aimant des hommes , aimé dans une soirée pour sa beauté .
Je vous sais libre , poète et beau . Soyez sûr que je n' aurais pas choisi pour confident l' un de vos confrères en Apollon déjà marié .
Si ma mère fut séduite par la Beauté qui peut - être est le génie de la Forme , pourquoi ne serais - je pas attirée par l' esprit et la forme réunis ? Serais - je plus instruite en vous étudiant par correspondance qu' en commençant par l' expérience vulgaire des quelques mois de cour ? Ceci est la question dirait Hamlet .
Mais mon procédé , mon cher Chrysale , a du moins l' avantage de ne pas compromettre nos personnes .
Je sais que l' amour a ses illusions , et toute illusion a son lendemain . Là se trouve la raison de tant de séparations entre amants qui se croyaient liés pour la vie .
La véritable épreuve est la souffrance et le bonheur . Quand , après avoir passé par cette double épreuve de la vie , deux êtres y ont déployé leurs défauts et leurs qualités , qu' ils y ont observé leurs caractères , alors ils peuvent aller jusqu' à la tombe en se tenant par la main ; mais , mon cher Argante , qui vous dit que notre petit drame commencé n' a pas d' avenir ? ... En tout cas , n' aurons - nous pas joui du plaisir de notre correspondance ? ...
" J' attends vos ordres , monseigneur , et suis de grand coeur
" Votre servante ,

MODESTE MIGNON (I, privé)
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