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Mon père a trop d' adoration pour mes volontés , il ne les contrariera jamais . Si je plais à mon poète , s' il me plaît , le brillant édifice de notre amour sera bâti si haut , qu' il sera parfaitement inaccessible au malheur : je suis une aiglonne , et vous le verrez à mes yeux . Je ne vous répéterai pas ce que je vous ai dit déjà ; mais je le mets en moins de mots en vous avouant que je serai la femme la plus heureuse d' être emprisonnée par l' amour , comme je le suis en ce moment par la volonté paternelle .
Eh ! mon ami , réduisons à la vérité du roman ce qui nous arrive par ma volonté . " Une jeune fille , à l' imagination vive , enfermée dans une tourelle , se meurt d' envie de courir dans le parc où ses yeux seulement pénètrent ; elle invente un moyen de desceller sa grille , elle saute par la croisée , escalade le mur du parc , et va folâtrer chez le voisin .
C' est un vaudeville éternel ... Eh bien , cette jeune fille est mon âme , le parc du voisin est votre génie .
N' est - ce pas bien naturel ? A - t - on jamais vu de voisin qui se soit plaint de son treillage cassé par de jolis pieds ? Voilà pour le poète .
Mais le sublime raisonneur de la comédie de Molière veut - il des raisons ! En voici . Mon cher Géronte , ordinairement les mariages se font au rebours du sens commun . Une famille prend des renseignements sur un jeune homme .
Si le Léandre fourni par la voisine ou pêché dans un bal n' a pas volé , s' il n' a pas de tare visible , s' il a la fortune qu' on lui désire , s' il sort d' un collège ou d' une École de droit , ayant satisfait aux idées vulgaires sur l' éducation , et s' il porte bien ses vêtements , on lui permet de venir voir une jeune personne , lacée dès le matin , à qui sa mère ordonne de bien veiller sur sa langue , et recommande de ne rien laisser passer de son âme , de son coeur sur sa physionomie , en y gravant un sourire de danseuse achevant sa pirouette , armée des instructions les plus positives sur le danger de montrer son vrai caractère , et à qui l' on recommande de ne pas paraître d' une instruction inquiétante .
Les parents , quand les affaires d' intérêt sont bien convenues entre eux , ont la bonhomie d' engager les prétendus à se connaître l' un l' autre , pendant des moments assez fugitifs où ils sont seuls , où ils causent , où ils se promènent , sans aucune espèce de liberté , car ils se savent déjà liés .
Un homme se costume alors aussi bien l' âme que le corps , et la jeune fille en fait autant de son côté .
Cette pitoyable comédie , entremêlée de bouquets , de parures , de parties de spectacle , s' appelle faire la cour à sa prétendue .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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