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III
" Monsieur ,
" Vous êtes certainement un grand poète , mais vous êtes quelque chose de plus , vous êtes un honnête homme . Après avoir eu tant de loyale franchise avec une jeune fille qui côtoyait un abîme , en aurez - vous assez pour répondre sans la moindre hypocrisie , sans détour , à la question que voici .
" Auriez - vous écrit la lettre que je tiens en réponse à la mienne ; vos idées , votre langage auraient - ils été les mêmes si quelqu' un vous eût dit à l' oreille ce qui peut se trouver vrai : " Mlle O . d' Este - M . a six millions et ne veut pas d' un sot pour maître ? "
" Admettez pour certaine et pendant un moment cette supposition . Soyez avec moi comme avec vous - même , ne craignez rien , je suis plus grande que mes vingt ans , rien de ce qui sera franc ne pourra vous nuire dans mon esprit .
Quand j' aurai lu cette confidence , si toutefois vous daignez me la faire , vous recevrez alors une réponse à votre première lettre .
" Après avoir admiré votre talent , si souvent sublime , permettez - moi de rendre hommage à votre délicatesse et à votre probité , qui me forcent à me dire toujours
" Votre humble servante ,
" O . D' ESTE - M . "
Quand Ernest de La Brière eut cette lettre entre les mains , il alla se promener sur les boulevards , agité dans son âme comme une frêle embarcation par une tempête où le vent parcourt tous les aires du compas , de moment en moment .
Pour un jeune homme comme on en rencontre tant , pour un vrai Parisien , tout eût été dit avec cette phrase : " C' est une petite rouée ! ... " Mais pour un garçon dont l' âme est noble et belle , cette espèce de serment déféré , cet appel à la Vérité eut la vertu d' éveiller les trois juges tapis au fond de toutes les consciences .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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