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Ils sont poètes par le coeur , par leurs méditations à l' écart , par la tendresse , comme d' autres sont poètes sur le papier , dans les champs de l' intelligence et à tant le vers ! comme lord Byron , comme tous ceux qui vivent , hélas ! de leur encre , l' eau d' Hippocrène d' aujourd' hui , par la faute du Pouvoir .
Attiré par la gloire de Canalis , par l' avenir promis à cette prétendue intelligence politique et conseillé par Mme d' Espard qui fit en ceci les affaires de la duchesse de Chaulieu , un jeune conseiller référendaire à la Cour des comptes se constitua le secrétaire bénévole du poète , et fut caressé par lui comme un spéculateur caresse son premier bâilleur de fonds .
Les prémices de cette camaraderie eurent assez de ressemblance avec l' amitié .
Ce jeune homme avait déjà fait un stage de ce genre auprès d' un des ministres tombés en 1827 ; mais le ministre avait eu soin de le placer à la Cour des comptes .
Ernest de La Brière , jeune homme alors âgé de vingt - sept ans , décoré de la Légion d' honneur , sans autre fortune que les émoluments de sa place , possédait la triture des affaires , et savait beaucoup après avoir habité pendant quatre ans le cabinet du principal ministère .
Doux , aimable , le coeur presque pudique et rempli de bons sentiments , il lui répugnait d' être sur le premier plan . Il aimait son pays , il voulait être utile , mais l' éclat l' éblouissait .
A son choix , la place de secrétaire près d' un Napoléon lui eût mieux convenu que celle de premier ministre . Ernest , devenu l' ami de Canalis , fit de grands travaux pour lui ; mais , en dix - huit mois , il reconnut la sécheresse de cette nature si poétique par l' expression littéraire seulement .
La vérité de ce proverbe populaire : L' habit ne fait pas le moine est surtout applicable à la littérature .
Il est extrêmement rare de trouver un accord entre le talent et le caractère . Les facultés ne sont pas le résumé de l' homme . Cette séparation , dont les phénomènes étonnent , provient d' un mystère inexploré , peut - être inexplorable .
Le cerveau , ses produits en tous genres , car dans les Arts la main de l' homme continue sa cervelle , sont un monde à part qui fleurit sous le crâne , dans une indépendance parfaite des sentiments , de ce qu' on nomme les vertus du citoyen , du père de famille , de l' homme privé .
Ceci n' est cependant pas absolu . Rien n' est absolu dans l' homme .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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