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Modeste vécut donc encore quelque temps par la compréhension , non seulement des oeuvres , mais encore du caractère de ses auteurs favoris . Goldsmith , l' auteur d' Oberman , Charles Nodier , Maturin , les plus pauvres , les plus souffrants étaient ses dieux ; elle devinait leurs douleurs , elle s' initiait à ces dénuements entremêlés de contemplations célestes , elle y versait les trésors de son coeur ; elle se voyait l' auteur du bien - être matériel de ces artistes , martyrs de leurs facultés .
Cette noble compatissance , cette intuition des difficultés du travail , ce culte du talent est une des plus rares fantaisies qui jamais aient voleté dans des âmes de femme .
C' est d' abord comme un secret entre la femme et Dieu ; car là rien d' éclatant , rien de ce qui flatte la vanité , cet auxiliaire si puissant des actions en France .
De cette troisième période d' idées , naquit chez Modeste un violent désir de pénétrer au coeur d' une de ces existences anormales , de connaître les ressorts de la pensée , les malheurs intimes du génie , et ce qu' il veut , et ce qu' il est .
Ainsi , chez elle , les coups de tête de la Fantaisie , les voyages de son âme dans le vide , les pointes poussées dans les ténèbres de l' avenir , l' impatience d' un amour en bloc à porter sur un point , la noblesse de ses idées quant à la vie , le parti pris de souffrir dans une sphère élevée au lieu de barboter dans les marais d' une vie de province , comme avait fait sa mère , l' engagement qu' elle maintenait avec elle - même de ne pas faillir , de respecter le foyer paternel et de n' y apporter que de la joie , tout ce monde de sentiments se produisit enfin sous une forme .
Modeste voulut être la compagne d' un poète , d' un artiste , d' un homme enfin supérieur à la foule des hommes ; mais elle voulut le choisir , ne lui donner son coeur , sa vie , son immense tendresse dégagée des ennuis de la passion , qu' après l' avoir soumis à une étude approfondie .
Ce joli roman , elle commença par en jouir .
La tranquillité la plus profonde régna dans son âme .
Sa physionomie se colora doucement .
Elle devint la belle et sublime image de l' Allemagne que vous avez vue , la gloire du Chalet , l' orgueil de Mme Latournelle et des Dumay . Modeste eut alors une existence double . Elle accomplissait humblement et avec amour toutes les minuties de la vie vulgaire au Chalet , elle s' en servait comme d' un frein pour enserrer le poème de sa vie idéale , à l' instar des Chartreux qui régularisent la vie matérielle et s' occupent pour laisser l' âme se développer dans la prière .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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