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L' autre événement fut plus grave encore que cette lâcheté mercantile . Bettina - Caroline était morte entre les bras de Modeste , qui garda sa soeur avec le dévouement de l' adolescence , avec la curiosité d' une imagination vierge .
Les deux soeurs , par le silence des nuits , échangèrent bien des confidences . De quel intérêt dramatique Bettina n' était - elle pas revêtue aux yeux de son innocente soeur ? Bettina connaissait la passion par le malheur seulement , elle mourait pour avoir aimé .
Entre deux jeunes filles , tout homme , quelque scélérat qu' il soit , reste un amant . La passion est ce qu' il y a de vraiment absolu dans les choses humaines , elle ne veut jamais avoir tort .
Georges d' Estourny , joueur , débauché , coupable , se dessinait toujours dans le souvenir de ces deux filles comme le dandy parisien des fêtes du Havre , lorgné par toutes les femmes ( Bettina crut l' enlever à la coquette Mme Vilquin ) , enfin comme l' amant heureux de Bettina .
L' adoration chez une jeune fille est plus forte que toutes les réprobations sociales .
Aux yeux de Bettina , la Justice avait été trompée : comment avoir pu condamner un jeune homme par qui elle s' était vue aimée pendant six mois , aimée à la passion dans la mystérieuse retraite où Georges la cacha dans Paris , pour y conserver , lui , sa liberté .
Bettina mourante avait donc inoculé l' amour à sa soeur . Ces deux filles avaient souvent causé de ce grand drame de la passion que l' imagination agrandit encore , et la morte avait emporté dans sa tombe la pureté de Modeste , en la laissant sinon instruite , au moins dévorée de curiosité .
Néanmoins le remords avait enfoncé trop souvent ses dents aiguës au coeur de Bettina pour qu' elle épargnât les avis à sa soeur .
Au milieu de ses aveux jamais elle n' avait manqué de prêcher Modeste , de lui recommander une obéissance absolue à la famille .
Elle avait supplié sa soeur , la veille de sa mort , de se souvenir de ce lit trempé de pleurs , et de ne pas imiter une conduite que tant de souffrances expiaient à peine . Bettina s' accusa d' avoir attiré la foudre sur la famille , elle mourut au désespoir de n' avoir pas reçu le pardon de son père .
Malgré les consolations de la Religion attendrie par tant de repentir , Bettina ne s' endormit pas sans crier au moment suprême : " Mon père ! mon père ! " d' un ton de voix déchirant .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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