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Vous n' avez pas du juger de l' impression qu' a produite sur elle cette symphonie de bourreau ( mot de Butscha qui prêtait de l' esprit à fonds perdu à sa bienfaitrice ) , appelée Le Dernier Jour d' un condamné ; mais elle me paraissait folle avec ses admirations pour ce M . Hugo . Je ne sais pas où ces gens - là ( Victor Hugo , Lamartine , Byron sont ces gens - là pour les Mme Latournelle ) vont prendre leurs idées . La petite m' a parlé de Childe - Harold , je n' ai pas voulu en avoir le démenti , j' ai eu la simplicité de me mettre à lire cela pour pouvoir en raisonner avec elle .
Je ne sais pas s' il faut attribuer cet effet à la traduction mais le coeur me tournait , les yeux me papillotaient , je n' ai pas pu continuer .
Il y a là des comparaisons qui hurlent : des rochers qui s' évanouissent , les laves de la guerre ! ... Enfin , comme c' est un Anglais qui voyage , on doit s' attendre à des bizarreries , mais cela passe la permission .
On se croit en Espagne , et il vous met dans les nuages , au - dessus des Alpes , il fait parler les torrents et les étoiles ; et puis , il y a trop de vierges ! ... c' en est impatientant ! Enfin , après les campagnes de Napoléon , nous avons assez des boulets enflammés , de l' airain sonore qui roulent de page en page .
Modeste m' a dit que tout ce pathos venait du traducteur et qu' il fallait lire l' anglais .
Mais je n' irai pas apprendre l' anglais pour lord Byron , quand je ne l' ai pas appris pour Exupère . Je préfère de beaucoup les romans de Ducray - Duminil à ces romans anglais ! Moi , je suis trop normande pour m' amouracher de tout ce qui vient de l' étranger , et surtout de l' Angleterre ... " Mme Mignon , malgré son deuil éternel , n' avait pu s' empêcher de sourire à l' idée de Mme Latournelle lisant Childe - Harold .
La sévère notaresse accepta ce sourire comme une approbation de ses doctrines .
" Ainsi donc , vous prenez , ma chère madame Mignon , les fantaisies de Modeste , les effets de ses lectures pour des amourettes .
Elle a vingt ans . à cet âge , on s' aime soi - même . On se pare pour se voir parée . Moi , je mettais à feu ma pauvre petite soeur un chapeau d' homme , et nous jouions au monsieur ... Vous avez eu , vous , à Francfort , une jeunesse heureuse , mais soyons justes ? ... Modeste est ici , sans aucune distraction .
Malgré la complaisance avec laquelle ses moindres désirs sont accueillis , elle se sait gardée , et la vie qu' elle mène offrirait peu de plaisir à une jeune fille qui n' aurait pas trouvé comme elle des divertissements dans les livres .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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