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à soixante - douze ans , il avait spéculé sur les cotons , en croyant au génie de Napoléon , sans savoir que le génie est aussi souvent au - dessus qu' au - dessous des événements . Ce dernier Wallenrod , des vrais Wallenrod - Tustall - Bartenstild , avait acheté presque autant de balles de coton que l' Empereur perdit d' hommes pendant sa sublime campagne de France .
" Che meirs tans le godon ! ... avait dit à sa fille ce père , de l' espèce des Goriot , en s' efforçant d' apaiser une douleur qui l' effrayait , ed che meirs ne teffant rienne à berzonne " , car ce Français d' Allemagne mourut en essayant de parler la langue aimée de sa fille .
Heureux de sauver de ce grand et double naufrage sa femme et ses deux filles , Charles Mignon revint à Paris où l' Empereur le nomma lieutenant - colonel dans les cuirassiers de la Garde , et le fit commandeur de la Légion d' honneur .
Le rêve du colonel , qui se voyait enfin général et comte au premier triomphe de Napoléon , s' éteignit dans les flots de sang de Waterloo .
Le colonel , peu grièvement blessé , se retira sur la Loire et quitta Tours avant le licenciement .
Au printemps de 1816 , Charles réalisa ses trente mille livres de rentes qui lui donnèrent environ quatre cent mille francs , et résolut d' aller faire fortune en Amérique en abandonnant le pays où la persécution pesait déjà sur les soldats de Napoléon .
Il descendit de Paris au Havre accompagné de Dumay , à qui , par un hasard assez ordinaire à la guerre , il avait sauvé la vie en le prenant en croupe au milieu du désordre qui suivit la journée de Waterloo .
Dumay partageait les opinions et le découragement du colonel . Charles , suivi par le Breton comme par un caniche ( le pauvre soldat idolâtrait les deux petites filles ) , pensa que l' obéissance , l' habitude des consignes , la probité , l' attachement du lieutenant en feraient un serviteur fidèle autant qu' utile , il lui proposa donc de se mettre sous ses ordres , au civil .
Dumay fut très heureux en se voyant adopté par une famille où il comptait vivre comme le gui sur le chêne .
En attendant une occasion pour s' embarquer , en choisissant entre les navires et méditant sur les chances offertes par leurs destinations , le colonel entendit parler des brillantes destinées que la paix réservait au Havre .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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