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Quand le moment de silence , annoncé par le notaire , fut établi dans ce joli salon , Modeste , assise près de sa mère et brodant pour elle un fichu , devint pendant un instant le point de mire des regards . Cette curiosité cachée sous les interrogations vulgaires que s' adressent tous les gens en visite , et même ceux qui se voient chaque jour , eût trahi le complot domestique médité contre la jeune fille à un indifférent ; mais Gobenheim , plus qu' indifférent , ne remarqua rien , il alluma les bougies de la table à jouer .
L' attitude de Dumay rendit cette situation terrible pour Butscha , pour les Latournelle , et surtout pour Mme Dumay qui savait son mari capable de tirer , comme sur un chien enragé , sur l' amant de Modeste .
Après le dîner , le caissier était allé se promener , suivi de deux magnifiques chiens des Pyrénées soupçonnés de trahison , et qu' il avait laissés chez un ancien métayer de M .
Mignon ; puis , quelques instants avant l' entrée des Latournelle , il avait pris à son chevet ses pistolets et les avait posés sur la cheminée en se cachant de Modeste .
La jeune fille ne fit aucune attention à tous ces préparatifs , au moins singuliers .
Quoique petit , trapu , grêlé , parlant tout bas , ayant l' air de s' écouter , ce Breton , ancien lieutenant de la Garde offre la résolution , le sang - froid si bien gravés sur son visage , que personne , en vingt ans , à l' armée , ne l' avait plaisanté .
Ses petits yeux , d' un bleu calme , ressemblent à deux morceaux d' acier . Ses façons , l' air de son visage , son parler , sa tenue , tout concorde à son nom bref de Dumay .
Sa force , bien connue d' ailleurs , lui permet de ne redouter aucune agression . Capable de tuer un homme d' un coup de poing , il avait accompli ce haut fait à Bautzen , en s' y trouvant sans armes , face à face avec un Saxon , en arrière de sa compagnie .
En ce moment la ferme et douce physionomie de cet homme atteignit au sublime du tragique ; ses lèvres pâles comme son teint indiquèrent une convulsion domptée par l' énergie bretonne , une sueur légère , mais que chacun vit et supposa froide , rendit son front humide .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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