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Ce jeune homme à visage livide , un de ces blonds aux yeux noirs dont le regard immobile a je ne sais quoi de fascinant , aussi sobre dans sa parole que dans le vivre , vêtu de noir , maigre comme un phtisique , mais vigoureusement charpenté , cultivait la famille de son ancien patron et la maison de son caissier , beaucoup moins par affection que par calcul : on y jouait le whist à deux sous la fiche , une mise soignée n' était pas de rigueur , il n' acceptait que des verres d' eau sucrée , et n' avait aucune politesse à rendre en échange .
Cette apparence de dévouement aux Mignon laissait croire que Gobenheim avait du coeur , et le dispensait d' aller dans le grand monde du Havre , d' y faire des dépenses inutiles , de déranger l' économie de sa vie domestique .
Ce catéchumène du Veau d' or se couchait tous les soirs à dix heures et demie , et se levait à cinq heures du matin . Enfin , sûr de la discrétion de Latournelle et de Butscha , Gobenheim pouvait analyser devant eux les affaires épineuses , les soumettre aux consultations gratuites du notaire , et réduire les cancans de la place à leur juste valeur .
Cet apprenti gobe - or ( mot de Butscha ) appartenait à cette nature de substances que la chimie appelle absorbantes .
Depuis la catastrophe arrivée à la maison Mignon , où les Keller le mirent en pension pour apprendre le haut commerce maritime , personne au Chalet ne l' avait prié de faire quoi que ce soit , pas même une simple commission ; sa réponse était connue .
Ce garçon regardait Modeste comme il aurait examiné une lithographie à deux sous .
" C' est l' un des pistons de l' immense machine appelée Commerce " , disait de lui le pauvre Butscha dont l' esprit se trahissait par de petits mots timidement lancés .
Les quatre Latournelle saluèrent avec la plus respectueuse déférence une vieille dame vêtue en velours noir , qui ne se leva pas du fauteuil où elle était assise car ses deux yeux étaient couverts de la taie jaune produite par la cataracte .
Mme Mignon sera peinte en une seule phrase . Elle attirait aussitôt le regard par le visage auguste des mères de famille dont la vie sans reproches défie les coups du Destin , mais qu' il a pris pour but de ses flèches , et qui forment la nombreuse tribu des Niobé .
Sa perruque blonde bien frisée , bien mise , seyait à sa blanche figure froidie comme celle de ces femmes de bourgmestre peintes par Mirevelt .
Le soin excessif de sa toilette , des bottines de velours , une collerette de dentelles , le châle mis droit , tout attestait la sollicitude de Modeste pour sa mère .

MODESTE MIGNON (I, privé)
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