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" Ce malheur a jeté la consternation dans le pays , et nous a d' autant plus surpris , que M . Benassis était la veille parfaitement bien portant , et sans nulle apparence de maladie . Avant - hier , comme s' il eût connu sa fin , il alla visiter tous ses malades , même les plus éloignés , il avait parlé à tous les gens qu' il rencontrait , en leur disant : " Adieu , mes amis " . Il est revenu , suivant son habitude , pour dîner avec moi , sur les cinq heures .
Jacquotte lui trouva la figure un peu rouge et violette ; comme il faisait froid , elle ne lui donna pas un bain de pieds , qu' elle avait l' habitude de le forcer à prendre quand elle lui voyait le sang à la tête .
Aussi la pauvre fille , à travers ses larmes , crie - t - elle depuis deux jours : " Si je lui avais donné un bain de pieds , il vivrait encore ! " M .
Benassis avait faim , il mangea beaucoup , et fut plus gai que de coutume . Nous avons beaucoup ri ensemble , et je ne l' avais jamais vu riant . Après le dîner , sur les sept heures un homme de Saint - Laurent - du - Pont vint le chercher , pour un cas très pressé .
Il me dit : " Il faut que j' y aille ; cependant ma digestion n' est pas faite , et je n aime pas monter à cheval en cet état , surtout par un temps froid ; il y a de quoi tuer un homme ! " Néanmoins il partit .
Goguelat , le piéton , apporta sur les neuf heures une lettre pour M . Benassis . Jacquotte , fatiguée d' avoir fait sa lessive , alla se coucher en me donnant la lettre , et me pria de préparer le thé dans notre chambre au feu de M .
Benassis , car je couche encore près de lui sur mon petit lit de crin . J' éteignis le feu du salon , et montai pour attendre mon bon ami .
Avant de poser la lettre sur la cheminée , je regardai , par un mouvement de curiosité , le timbre et l' écriture . Cette lettre venait de Paris , et l' adresse me parut avoir été écrite par une femme .
Je vous en parle à cause de l' influence que cette lettre a eue sur l' événement . Vers dix heures j' entendis les pas du cheval de M . Benassis . Il dit à Nicolle : " Il fait un froid de loup , je suis mal à mon aise .
- Voulez - vous que j' aille réveiller Jacquotte , lui demanda Nicolle . - Non ! non ! " Et il monta . " Je vous ai apprêté votre thé , lui dis - je . - Merci , Adrien ! " me répondit - il en me souriant comme vous savez .
Ce fut son dernier sourire . Le voilà qui ôte sa cravate comme s' il étouffait . " Il fait chaud ici " dit - il . Puis il se jeta sur un fauteuil . " Il est venu une lettre pour vous , mon bon ami , la voici " , lui dis - je .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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