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Je relus les Évangiles , et ne vis aucun texte où le suicide fût interdit ; mais cette lecture me pénétra de la divine pensée du Sauveur des hommes . Certes , il n' y dit rien de l' immortalité de l' âme , mais il nous parle du beau royaume de son père ; il ne nous défend aussi nulle part le parricide , mais il condamne tout ce qui est mal .
La gloire de ses évangélistes et la preuve de leur mission est moins d' avoir fait des lois que d' avoir répandu sur la terre l' esprit nouveau des lois nouvelles . Le courage qu' un homme déploie en se tuant me parut alors être sa propre condamnation : quand il se sent la force de mourir , il doit avoir celle de lutter ; se refuser à souffrir n' est pas force , mais faiblesse ; d' ailleurs , quitter la vie par découragement , n' est - ce pas abjurer la foi chrétienne , à laquelle Jésus a donné pour base ces sublimes paroles : " Heureux ceux qui souffrent ! " Le suicide ne me parut donc plus excusable dans aucune crise , même chez l' homme qui par une fausse entente de la grandeur d' âme dispose de lui - même un instant avant que le bourreau ne le frappe de sa hache .
En se laissant crucifier , Jésus - Christ ne nous a - t - il pas enseigné à obéir à toutes les lois humaines , fussent - elles injustement appliquées ? Le mot Résignation , gravé sur la croix , si intelligible pour ceux qui savent lire les caractères sacrés , m' apparut alors dans sa divine clarté .
Je possédais encore quatre - vingt mille francs , je voulus d' abord aller loin des hommes , user ma vie en végétant au fond de quelque campagne ; mais la misanthropie , espèce de vanité cachée sous une peau de hérisson , n' est pas une vertu catholique .
Le coeur d' un misanthrope ne saigne pas , il se contracte , et le mien saignait par toutes ses veines .
En pensant aux lois de l' Église , aux ressources qu' elle offre aux affligés , je parvins à comprendre la beauté de la prière dans la solitude , et j' eus pour idée fixe d' entrer en religion , suivant la belle expression de nos pères .
Quoique mon parti fût pris avec fermeté , je me réservai néanmoins la faculté d' examiner les moyens que je devais employer pour parvenir à mon but .
Après avoir réalisé les restes de ma fortune , je partis presque tranquille .
La paix dans le Seigneur était une espérance qui ne pouvait me tromper .
Séduit d' abord par la règle de saint Bruno , je vins à la Grande - Chartreuses à pied , en proie à de sérieuses pensées .
Ce jour fut un jour solennel pour moi .
MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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