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La puissance de l' homme n' existe donc nulle part sans une liberté indéfinie dans ses actes : faut - il échapper aux conséquences honteuses d' une faute irrémédiable ? l' homme vulgaire boit la honte et vit , le sage avale la ciguë et meurt ; faut - il disputer les restes de sa vie à la goutte qui broie les os , au cancer qui dévore la face , le sage juge de l' instant opportun , congédie les charlatans , et dit un dernier adieu à ses amis qu' il attristait de sa présence . Tombé au pouvoir du tyran que l' on a combattu les armes à la main , que faire ? l' acte de soumission est dressé , il n' y a plus qu' à signer ou à tendre le cou : l' imbécile tend le cou , le lâche signe , le sage finit par un dernier acte de liberté , il se frappe .
" Hommes libres , s' écriait alors le stoïcien , sachez vous maintenir libres ! Libres de vos passions en les sacrifiant aux devoirs libres de vos semblables en leur montrant le fer ou le poison qui vous met hors de leurs atteintes , libres de la destinée en fixant le point au - delà duquel vous ne lui laissez aucune prise sur vous , libres des préjugés en ne les confondant pas avec les devoirs , libres de toutes les appréhensions animales en sachant surmonter l' instinct grossier qui enchaîne à la vie tant de malheureux .
" Après avoir dégagé cette argumentation dans le fatras philosophique des Anciens , je crus y imprimer une forme chrétienne en la corroborant par les lois du libre arbitre que Dieu nous a données afin de pouvoir nous juger un jour à son tribunal , et je me disais : " J' y plaiderai ! " Mais , monsieur , ces raisonnements me forcèrent de penser au lendemain de la mort , et je me trouvai aux prises avec mes anciennes croyances ébranlées .
Tout alors devient grave dans la vie humaine quand l' éternité pèse sur la plus légère de nos déterminations .
Lorsque cette idée agit de toute sa puissance sur l' âme d' un homme , et lui fait sentir en lui je ne sais quoi d' immense qui le met en contact avec l' infini , les choses changent étrangement .
De ce point de vue , la vie est bien grande et bien petite .
Le sentiment de mes fautes ne me fit point songer au ciel tant que j' eus des espérances sur la terre , tant que je trouvai des soulagements à mes maux dans quelques occupations sociales .
Aimer , se vouer au bonheur d' une femme , être chef d' une famille , n' était - ce pas donner de nobles aliments à ce besoin d' expier mes fautes qui me poignait ? Cette tentative ayant échoué , n' était - ce pas encore une expiation que de se consacrer à un enfant ? Mais quand , après ces ceux efforts de mon âme , le dédain et la mort y eurent mis un deuil éternel , quand tous mes sentiments furent blessés à la fois , et que je n' aperçus plus rien ici - bas , je levai les yeux vers le ciel et j' y rencontrai Dieu .
Cependant j' essayai de rendre la religion complice de ma mort .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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