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Alarmé , j' envoyai mon vieil ami savoir la raison d' une conduite à laquelle je ne comprenais rien . Lorsqu' il en apprit la cause , le bon vieillard se dévoua noblement , il assuma sur lui la forfaiture de mon silence , voulut me justifier et ne put rien obtenir . Les raisons d' intérêt et de morale étaient trop graves pour cette famille , ses préjugés étaient trop arrêtés , pour la faire changer de résolution .
Mon désespoir fut sans bornes . D' abord je tâchai de conjurer l' orage ; mais mes lettres me furent renvoyées sans avoir été ouvertes .
Lorsque tous les moyens humains furent épuisés ; quand le père et la mère eurent dit au vieillard , auteur de mon infortune , qu' ils refuseraient éternellement d' unir leur fille à un homme qui avait à se reprocher la mort d' une femme et la vie d' un enfant naturel , même quand Évelina les implorerait à genoux , alors , monsieur , il ne me resta plus qu' un dernier espoir , faible comme la branche de saule à laquelle s' attache un malheureux quand il se noie .
J' osai croire que l' amour d' Évelina serait plus fort que les résolutions paternelles , et qu' elle saurait vaincre l' inflexibilité de ses parents ; son père pouvait lui avoir caché les motifs du refus qui tuait notre amour , je voulus qu' elle décidât de mon sort en connaissance de cause , je lui écrivis .
Hélas ! monsieur dans les larmes et la douleur , je traçai , non sans de cruelles hésitations , la seule lettre d' amour que j' aie jamais faite .
Je ne sais plus que vaguement aujourd' hui ce que me dicta le désespoir ; sans doute , je disais à mon Évelina que , si elle avait été sincère et vraie , elle ne pouvait , elle ne devait jamais aimer que moi ; sa vie n' était - elle pas manquée , n' était - elle pas condamnée à mentir à son futur époux ou à moi ? ne trahissait - elle pas les vertus de la femme , en refusant à son amant méconnu le même dévouement qu' elle aurait déployé pour lui , si le mariage accompli dans nos coeurs se fût célébré ? et quelle femme n' aimerait à se trouver plus liée par les promesses du coeur que par les chaînes de la loi ? Je justifiai mes fautes en invoquant toutes les puretés de l' innocence , sans rien oublier de ce qui pouvait attendrir une âme noble et généreuse .
Mais , puisque je vous avoue tout , je vais vous aller chercher sa réponse et ma dernière lettre " , dit Benassis en sortant pour monter à sa chambre !
Il revint bientôt en tenant à la main un portefeuille usé duquel il ne tira pas sans une émotion profonde des papiers mal en ordre et qui tremblèrent dans ses mains .
MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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