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Mais quand on éprouve une passion vraie , la présence de la personne aimée n' assouvit - elle pas nos désirs les plus violents ? quand nous sommes admis devant elle , n' est - ce pas le bonheur du chrétien devant Dieu ? Voir , n' est - ce pas adorer ? Si , pour moi , plus que pour tout autre , ce fut un supplice de ne pas avoir le droit d' exprimer les élans de mon coeur , si je fus forcé d' y ensevelir ces brûlantes paroles qui trompent de plus brûlantes émotions en les exprimant , néanmoins cette contrainte , en emprisonnant ma passion , la fit saillir plus vive dans les petites choses , et les moindres accidents contractèrent alors un prix excessif .
L' admirer pendant des heures entières , attendre une réponse et savourer longtemps les modulations de sa voix pour y chercher ses plus secrètes pensées ; épier le tremblement de ses doigts quand je lui présentais quelque objet qu' elle avait cherché , imaginer des prétextes pour effleurer sa robe ou ses cheveux , pour lui prendre la main , pour la faire parler plus qu' elle ne le voulait ; tous ces riens étaient de grands événements .
Pendant ces sortes d' extases , les yeux , le geste , la voix apportaient à l' âme d' inconnus témoignages d' amour .
Tel fut mon langage , le seul que me permît la réserve froidement virginale de cette jeune fille ; car ses manières ne changeaient pas , elle était bien toujours avec moi comme une soeur est avec son frère ; seulement , à mesure que ma passion grandissait , le contraste entre mes paroles et les siennes , entre mes regards et les siens , devenait plus frappant , et je finis par deviner que ce timide silence était le seul moyen qui pût servir à cette jeune fille pour exprimer ses sentiments .
N' était - elle pas toujours dans le salon quand j' y venais ? n' y restait - elle pas durant ma visite attendue et pressentie peut - être ! cette fidélité silencieuse n' accusait - elle pas le secret de son âme innocente ? Enfin , n' écoutait - elle pas mes discours avec un plaisir qu' elle ne savait pas cacher ? La naïveté de nos manières et la mélancolie de notre amour finirent sans doute par impatienter les parents , qui , me voyant presque aussi timide que l' était leur fille , me jugèrent favorablement , et me regardèrent comme un homme digne de leur estime .
Le père et la mère se confièrent à mon vieil ami , lui dirent de moi les choses les plus flatteuses : j' étais devenu leur fils d' adoption , ils admiraient surtout la moralité de mes sentiments .
Il est vrai qu' alors je m' étais retrouvé jeune .
Dans ce monde religieux et pur , l' homme de trente - deux ans redevenait l' adolescent plein de croyances .
L' été finissait , des occupations avaient retenu cette famille à Paris contre ses habitudes ; mais , au mois de septembre elle fut libre de partir pour une terre située en Auvergne , et le père me pria de venir habiter , pendant deux mois , un vieux château perdu dans les montagnes du Cantal .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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