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L' amour était dans mon âme un principe d' existence . J' éprouvais un besoin d' affection qui , toujours trompé , renaissait plus fort et croissait avec l' âge . En moi se trouvaient alors toutes les conditions d' un attachement vrai . J' avais été éprouvé , je comprenais et les félicités de la constance et le bonheur de changer un sacrifice en plaisir , la femme aimée devait toujours être la première dans mes actions et dans mes pensées .
Je me complaisais à ressentir imaginairement un amour arrivé à ce degré de certitude où les émotions pénètrent si bien deux êtres , que le bonheur a passé dans la vie , dans les regards , dans les paroles , et ne cause plus aucun choc .
Cet amour est alors dans la vie comme le sentiment religieux est dans l' âme , il l' anime , la soutient et l' éclaire .
Je comprenais l' amour conjugal autrement que ne le comprend la plupart des hommes , et je trouvais que sa beauté , que sa magnificence gît précisément en ces choses qui le font périr dans une foule de ménages .
Je sentais vivement la grandeur morale d' une vie à deux assez intimement partagée pour que les actions les plus vulgaires n' y soient plus un obstacle à la perpétuité des sentiments .
Mais où rencontrer des coeurs à battements assez parfaitement isochrones , passez - moi cette expression scientifique , pour arriver à cette union céleste ? s' il en existe , la nature ou le hasard les jettent à de si grandes distances , qu' ils ne peuvent se joindre , ils se connaissent trop tard ou sont trop tôt séparés par la mort .
Cette fatalité doit avoir un sens , mais je ne l' ai jamais cherché .
Je souffre trop de ma blessure pour l' étudier . Peut - être le bonheur parfait est - il un monstre qui ne perpétuerait pas notre espèce . Mon ardeur pour un mariage de ce genre était excitée par d' autres causes .
Je n' avais point d' amis . Pour moi le monde était désert . Il est en moi quelque chose qui s' oppose au doux phénomène de l' union des âmes . Quelques personnes m' ont recherché , mais rien ne les ramenait près de moi , quelques efforts que je fisse vers elles .
Pour beaucoup d' hommes , j' ai fait taire ce que le monde appelle la supériorité ; je marchais de leur pas , j' épousais leurs idées , je riais de leur rire , j' excusais les défauts de leur caractère ; si j' eusse obtenu la gloire , je la leur aurais vendue pour un peu d' affection .
Ces hommes m' ont quitté sans regrets .
Tout est piège et douleur à Paris pour les âmes qui veulent y chercher des sentiments vrais . Là où dans le monde se posaient mes pieds , le terrain se brûlait autour de moi .
MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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