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De cette époque , monsieur , datent les réflexions sérieuses que j' ai faites sur la base des sociétés , sur leur mécanisme , sur les devoirs de l' homme , sur la moralité qui doit animer les citoyens . Le Génie embrasse tout d' abord ces liens entre les sentiments de l' homme et les destinées de la société ; la Religion inspire aux bons esprits les principes nécessaires au bonheur ; mais le Repentir seul les dicte aux imaginations fougueuses : le repentir m' éclaira .
Je ne vécus que pour un enfant et , par cet enfant , je fus conduit à méditer sur les grandes questions sociales .
Je résolus de l' armer personnellement par avance de tous les moyens de succès afin de préparer sûrement son élévation .
Ainsi , pour lui apprendre l' anglais , l' allemand , l' italien et l' espagnol , je mis successivement autour de lui des gens de ces divers pays , chargés de lui faire contracter , dès son enfance , la prononciation de leur langue .
Je reconnus avec joie en lui d' excellentes dispositions dont je profitai pour l' instruire en jouant . Je ne voulus pas laisser pénétrer une seule idée fausse dans son esprit , je cherchai surtout à l' accoutumer de bonne heure aux travaux de l' intelligence , à lui donner ce coup d' oeil rapide et sûr qui généralise , et cette patience qui descend jusque dans le moindre détail des spécialités ; enfin , je lui ai appris à souffrir et à se taire .
Je ne permettais pas qu' un mot impur ou seulement impropre fût prononcé devant lui .
Par mes soins , les hommes et les choses dont il était entouré contribuèrent à lui ennoblir , à lui élever l' âme , à lui donner l' amour du vrai , l' horreur du mensonge , à le rendre simple et naturel en paroles , en actions , en manières .
La vivacité de son imagination lui faisait promptement saisir les leçons extérieures , comme l' aptitude de son intelligence lui rendait ses autres études faciles .
Quelle jolie plante à cultiver ! Combien de joie ont les mères ! j' ai compris alors comment la sienne avait pu vivre et supporter son malheur .
Voilà , monsieur , le plus grand événement de ma vie , et maintenant j' arrive à la catastrophe qui m' a précipité dans ce canton .
Maintenant je vais donc vous dire l' histoire la plus vulgaire , la plus simple du monde , mais pour moi la plus terrible . Après avoir donné pendant quelques années tous mes soins à l' enfant de qui je voulais faire un homme , ma solitude m' effraya ; mon fils grandissait , il allait m' abandonner .
MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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