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J' allai donc pendant longtemps , tous les soirs , à quelque théâtre , et contractai peu à peu des habitudes de paresse . Je transigeais en moi - même avec mes devoirs , souvent je remettais au lendemain mes plus pressantes occupations ; bientôt , au lieu de chercher à m' instruire , je ne fis plus que les travaux strictement nécessaires pour arriver aux grades par lesquels il faut passer avant d' être docteur .
Aux cours publics , je n' écoutais plus les professeurs , qui , selon moi , radotaient . Je brisais déjà mes idoles , je devenais Parisien .
Bref , je menai la vie incertaine d' un jeune homme de province qui , jeté dans la capitale , garde encore quelques sentiments vrais , croit encore à certaines règles de morale , mais qui se corrompt par les mauvais exemples , tout en voulant s' en défendre .
Je me défendis mal , j' avais des complices en moi - même . Oui , monsieur , ma physionomie n' est pas trompeuse , j' ai eu toutes les passions dont les empreintes me sont restées .
Je conservai cependant au fond de mon cour un sentiment de perfection morale qui me poursuivit au milieu de mes désordres , et qui devait ramener un jour à Dieu , par la lassitude et par le remords , l' homme dont la jeunesse s' était désaltérée dans les eaux pures de la Religion .
Celui qui sent vivement les voluptés de la terre n' est - il pas tôt ou tard attiré par le goût ces fruits du ciel ? J' eus d' abord les mille félicités et les mille désespérances qui se rencontrent plus ou moins actives dans toutes les jeunesses : tantôt je prenais le sentiment de ma force pour une volonté ferme , et m' abusais sur l' étendue de mes facultés ; tantôt , à l' aperçu du plus faible écueil contre lequel j' allais me heurter , je tombais beaucoup plus bas que je ne devais naturellement descendre ; je concevais les plus vastes plans , je rêvais la gloire , je me disposais au travail ; mais une partie de plaisir emportait ces nobles velléités .
Le vague souvenir de mes grandes conceptions avortées me laissait de trompeuses lueurs qui m' habituaient à croire en moi , sans me donner l' énergie de produire .
Cette paresse pleine de suffisance me menait à n' être qu' un sot .
Le sot n' est - il pas celui qui ne justifie pas la bonne opinion qu' il prend de lui - même ? J' avais une activité sans but , je voulais les fleurs de la vie , sans le travail qui les fait éclore .
Ignorant les obstacles , je croyais tout facile , j' attribuais à d' heureux hasards et les succès de science et les succès de fortune .
Pour moi , le génie était du charlatanisme .
MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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