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Mes goûts me portèrent à l' étude de la médecine . De Sorrèze , où j' étais resté pendant dix ans sous la discipline à demi conventuelle des Oratoriens , et plongé dans la solitude d' un collège de province , je fus , sans aucune transition , transporté dans la capitale .
Mon père m' y accompagna pour me recommander à l' un de ses amis . Les deux vieillards prirent , à mon insu , de minutieuses précautions contre l' effervescence de ma jeunesse , alors très innocente .
Ma pension fut sévèrement calculée d' après les besoins réels de la vie , et je ne dus en toucher les quartiers que sur la présentation des quittances de mes inscriptions à l' École de médecine .
Cette défiance assez injurieuse fut déguisée sous des raisons d' ordre et de comptabilité . Mon père se montra d' ailleurs libéral pour tous les frais nécessités par mon éducation , et pour les plaisirs de la vie parisienne .
Son vieil ami , heureux d' avoir un jeune homme à conduire dans le dédale où j' entrais , appartenait à cette nature d' hommes qui classent leurs sentiments aussi soigneusement qu' ils rangent leurs papiers .
En consultant son agenda de l' année passée , il pouvait toujours savoir ce qu' il avait fait au mois , au jour et à l' heure où il se trouvait dans l' année courante .
La vie était pour lui comme une entreprise de laquelle il tenait commercialement les comptes . Homme de mérite d' ailleurs , mais fin , méticuleux , défiant , il ne manqua jamais de raisons spécieuses pour pallier les précautions qu' il prenait à mon égard ; il achetait mes livres , il payait mes leçons ; si je voulais apprendre à monter à cheval , le bonhomme s' enquérait lui - même du meilleur manège , m' y conduisait et prévenait mes désirs en mettant un cheval à ma disposition pour les jours de fête .
Malgré ces ruses de vieillard , que je sus déjouer du moment où j' eus quelque intérêt à lutter avec lui , cet excellent homme fut un second père pour moi .
" Mon ami , me dit - il , au moment où il devina que je briserais ma laisse s' il ne l' allongeait pas , les jeunes gens font souvent des folies auxquelles les entraîne la fougue de l' âge , et il pourrait vous arriver d' avoir besoin d' argent , venez alors à moi ? Jadis votre père m' a galamment obligé , j' aurai toujours quelques écus à votre service ; mais ne me mentez jamais , n' ayez pas honte de m' avouer vos fautes , j' ai été jeune , nous nous entendrons toujours comme deux bons camarades .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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