----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Ah ! mon Dieu , les lieutenants tombaient , les colonels , les soldats ! C' est égal ! ça faisait des souliers à ceux qui n' en avaient pas et des épaulettes pour les intrigants qui savaient lire . Victoire ! c' est le cri de toute la ligne . Par exemple , ce qui ne s' était jamais vu , il y avait vingt - cinq mille Français par terre .
Excusez du peu ! C' était un vrai champ de blé coupé : au lieu d' épis , mettez des hommes ! Nous étions dégrisés , nous autres . L' Homme arrive , on fait le cercle autour de lui . Pour lors , il nous câline , car il était aimable quand il le voulait , à nous faire contenter de vache enragée par une faim de deux loups .
Alors mon câlin distribue soi - même les croix , salue les morts ; puis nous dit : " à Moscou ! - Va pour Moscou ! " dit l' armée .
Nous prenons Moscou . Voilà - t - il pas que les Russes brûlent leur ville ? ç' a été un feu de paille de deux lieues , qui a flambé pendant deux jours . Les édifices tombaient comme des ardoises ! Il y avait des pluies de fer et de plomb fondus qui étaient naturellement horribles ; et l' on peut vous le dire , à vous , ce fut l' éclair de nos malheurs .
L' Empereur dit : " Assez comme ça , tous mes soldats y resteraient ! " Nous nous amusons à nous rafraîchir un petit moment et à se refaire le cadavre parce qu' on était réellement fatigué beaucoup .
Nous emportons une croix d' or qu' était sur le Kremlin , et chaque soldat avait une petite fortune .
Mais , en revenant , l' hiver s' avance d' un mois , chose que les savants qui sont des bêtes n' ont pas expliquée suffisamment , et le froid nous pince .
Plus d' armée , entendez - vous ? plus de généraux , plus de sergents même . Pour lors , ce fut le règne de la misère et de la faim , règne où nous étions réellement tous égaux ! On ne pensait qu' à revoir la France , l' on ne se baissait pas pour ramasser son fusil ni son argent ; et chacun allait devant lui , arme à volonté , sans se soucier de la gloire .
Enfin le temps était si mauvais que l' Empereur n' a plus vu son étoile .
Il y avait quelque chose entre le ciel et lui . Pauvre homme , qu' il était malade de voir ses aigles à contrefil de la victoire ! Et ça lui en a donné une sévère , allez ! Arrive la Berezina .
Ici , mes amis , l' on peut vous affirmer par ce qu' il y a de plus sacré , sur l' honneur , que , depuis qu' il y a des hommes , jamais , au grand jamais , ne s' était vu pareille fricassée d' armée , de voitures , d' artillerie , dans de pareille neige , sous un ciel pareillement ingrat .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
Page: 532