----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Élevée alors pour servir un jour de femme de chambre à la fille de la maison , qui se maria cinq ans après , la pauvre petite a été pendant ce temps la victime de tous les caprices des gens riches lesquels pour la plupart n' ont rien de constant ni de suivi dans leur générosité : bienfaisants par accès ou par boutades , tantôt protecteurs , tantôt amis , tantôt maîtres , ils faussent encore la situation déjà fausse des enfants malheureux auxquels ils s' intéressent , et ils en jouent le coeur , la vie ou l' avenir avec insouciance , en les regardant comme peu de chose .
La Fosseuse devint d' abord presque la compagne de la jeune héritière : on lui apprit alors à lire a écrire , et sa future maîtresse s' amusa quelquefois à lui donner des leçons de musique .
Tour à tour demoiselle de compagnie et femme de chambre , on fit d' elle un être incomplet .
Elle prit là le goût du luxe , de la parure , et contracta des manières en désaccord avec sa situation réelle .
Depuis , le malheur a bien rudement réformé son âme , mais il n' a pu en effacer le vague sentiment d' une destinée supérieure .
Enfin un jour , jour bien funeste pour cette pauvre fille , la jeune comtesse , alors mariée , surprit la Fosseuse , qui n' était plus que sa femme de chambre , parée d' une de ses robes de bal et dansant devant une glace .
L' orpheline , alors âgée de seize ans , fut renvoyée sans pitié ; son indolence la fit retomber dans la misère , errer sur les routes , mendier , travailler , comme je vous l' ai dit .
Souvent elle pensait à se jeter à l' eau , quelquefois aussi à se donner au premier venu ; la plupart du temps elle se couchait au soleil le long du mur , sombre , pensive , la tête dans l' herbe ; les voyageurs lui jetaient alors quelques sous , précisément parce qu' elle ne leur demandait rien .
Elle est restée pendant un an à l' hôpital d' Annecy , après une moisson laborieuse , à laquelle elle n' avait travaillé que dans l' espoir de mourir .
Il faut lui entendre raconter à elle - même ses sentiments et ses idées durant cette période de sa vie , elle est souvent bien curieuse dans ses naïves confidences .
Enfin elle est revenue au bourg vers l' époque où je résolus de m' y fixer . Je voulais connaître le moral de mes administrés , j' étudiai donc son caractère , qui me frappa ; puis , après avoir observé ses imperfections organiques , je résolus de prendre soin d' elle .
Peut - être avec le temps finira - t - elle par s' accoutumer au travail de la couture , mais en tout cas j' ai assuré son sort .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
Page: 487