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- N' est - ce pas ? répondit - il . Je me suis vingt fois dit qu' elle ferait une charmante femme ; mais je ne saurais l' aimer autrement que comme on aime sa soeur ou sa fille , mon coeur est mort .
- A - t - elle des parents ? demanda Genestas . Que faisaient son père et sa mère ?
- Oh ! c' est toute une histoire , reprit Benassis . Elle n' a plus ni père , ni mère , ni parents . Il n' est pas jusqu' à son nom qui ne m' ait intéressé . La Fosseuse est née dans le bourg . Son père , journalier de Saint - Laurent - du - Pont , se nommait le Fosseur , abréviation sans doute de fossoyeur , car depuis un temps immémorial la charge d' enterrer les morts était restée dans sa famille .
Il y a dans ce nom toutes les mélancolies du cimetière .
En vertu d' une coutume romaine encore en usage ici comme dans quelques autres pays de la France , et qui consiste à donner aux femmes le nom de leurs maris , en ajoutant une terminaison féminine , cette fille a été appelée la Fosseuse du nom de son père .
Ce journalier avait épousé par amour la femme de chambre de je ne sais quelle comtesse , dont la terre se trouve à quelques lieues du bourg .
Ici , comme dans toutes les campagnes , la passion entre pour peu de chose dans les mariages . En général , les paysans veulent une femme pour avoir des enfants , pour avoir une ménagère qui leur fasse de bonne soupe et leur apporte à manger aux champs , qui leur file des chemises et raccommode leurs habits .
Depuis longtemps pareille aventure n' était arrivée dans ce pays , où souvent un jeune homme quitte sa promise pour une jeune fille plus riche qu' elle de trois ou quatre arpents de terre .
Le sort du Fosseur et de sa femme n' a pas été assez heureux pour déshabituer nos Dauphinois de leurs calculs intéressés .
La Fosseuse , qui était une belle personne , est morte en accouchant de sa fille . Le mari prit tant de chagrin de cette perte , qu' il en est mort dans l' année , ne laissant rien au monde à son enfant qu' une vie chancelante et naturellement fort précaire .
La petite fut charitablement recueillie par une voisine qui l' éleva jusqu' à l' âge de neuf ans . La nourriture de la Fosseuse devenant une charge trop lourde pour cette bonne femme , elle envoya sa pupille mendier son pain dans la saison où il passe des voyageurs sur les routes .
Un jour , l' orpheline , étant allée demander du pain au château de la comtesse , y fut gardée en mémoire de sa mère .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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