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Simple soldat , il a fait les campagnes d' Italie sous Napoléon , l' a suivi en Égypte , est revenu d' Orient à la paix d' Amiens ; puis , enrégimenté sous l' Empire dans les pontonniers de la Garde , il a constamment servi en Allemagne . En dernier lieu , le pauvre ouvrier est allé en Russie .
- Nous sommes un peu frères , dit Genestas , j' ai fait les mêmes campagnes . Il a fallu des corps de métal pour résister aux fantaisies de tant de climats différents . Le bon Dieu a , par ma foi , donné quelque brevet d' invention pour vivre à ceux qui sont encore sur leurs quilles après avoir traversé l' Italie , l' Égypte , l' Allemagne , le Portugal et la Russie .
- Aussi allez - vous voir un bon tronçon d' homme , reprit Benassis . Vous connaissez la déroute , inutile de vous en parler . Mon homme est un des pontonniers de la Berezina , il a contribué à construire le pont sur lequel a passé l' armée ; et pour en assujettir les premiers chevalets , il s' est mis dans l' eau jusqu' à mi - corps .
Le général Éblé , sous les ordres duquel étaient les pontonniers , n' en a pu trouver que quarante - deux assez poilus , comme dit Gondrin , pour entreprendre cet ouvrage .
Encore le général s' est - il mis à l' eau lui - même en les encourageant , les consolant , et leur promettant à chacun mille francs de pension et la croix de légionnaire .
Le premier homme qui est entré dans la Berezina a eu la jambe emportée par un gros glaçon , et l' homme a suivi sa jambe . Mais vous comprendrez mieux les difficultés de l' entreprise par les résultats : des quarante - deux pontonniers , il ne reste aujourd' hui que Gondrin .
Trente - neuf d' entre eux ont péri au passage de la Berezina , et les deux autres ont fini misérablement dans les hôpitaux de la Pologne .
Ce pauvre soldat n' est revenu de Wilna qu' en 1814 , après la rentrée des Bourbons . Le général Éblé , de qui Gondrin ne parle jamais sans avoir les larmes aux yeux , était mort .
Le pontonnier devenu sourd , infirme , et qui ne savait ni lire ni écrire , n' a donc plus trouvé ni soutien , ni défenseur . Arrivé à Paris en mendiant son pain , il y a fait des démarches dans les bureaux du ministère de la guerre pour obtenir , non les mille francs de pension promis , non la croix de légionnaire , mais la simple retraite à laquelle il avait droit après vingt - deux ans de service et je ne sais combien de campagnes ; mais il n' a eu ni solde arriérée , ni frais de route , ni pension .
Après un an de sollicitations inutiles , pendant lequel il a tendu la main à tous ceux qu' il avait sauvés , le pontonnier est revenu ici désolé , mais résigné .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
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