----- Revenir à l'écran précédent par la commande BACK -----

Le seul industriel du pays était le maire , qui possédait une scierie et achetait à bas prix les coupes de bois pour les débiter . Faute de chemins , il transportait ses arbres un à un dans la belle saison en les traînant à grand - peine au moyen d' une chaîne attachée au licou de ses chevaux , et terminée par un crampon de fer enfoncé dans le bois .
Pour aller à Grenoble , soit à cheval , soit à pied , il fallait passer par un large sentier situé en haut de la montagne , la vallée était impraticable .
D' ici au premier village que vous avez vu en arrivant dans le canton , la jolie route , par laquelle vous êtes sans doute venu , ne formait en tout temps qu' un bourbier .
Aucun événement politique , aucune révolution n' était arrivée dans ce pays inaccessible , et complètement en dehors du mouvement social . Napoléon seul y avait jeté son nom , il y est une religion , grâce à deux ou trois vieux soldats du pays revenus dans leurs foyers , et qui , pendant les veillées , racontent fabuleusement à ces gens simples les aventures de cet homme et de ses armées .
Ce retour est d' ailleurs un phénomène inexplicable .
Avant mon arrivée , les jeunes gens partis à l' armée y restaient tous . Ce fait accuse assez la misère du pays pour me dispenser de vous la peindre .
Voilà , monsieur , dans quel état j' ai pris ce canton duquel dépendent , au - delà des montagnes , plusieurs communes bien cultivées , assez heureuses et presque riches .
Je ne vous parle pas des chaumières du bourg , véritables écuries où bêtes et gens s' entassaient alors pêle - mêle .
" Je passai par ici en revenant de la Grande - Chartreuse . N' y trouvant pas d' auberge , je fus forcé de coucher chez le vicaire , qui habitait provisoirement cette maison , alors en vente . De questions en questions , j' obtins une connaissance superficielle de la déplorable situation de ce pays , dont la belle température , le sol excellent et les productions naturelles m' avaient émerveillé .
Monsieur , je cherchais alors à me faire une vie autre que celle dont les peines m' avaient lassé .
Il me vint au coeur une de ces pensées que Dieu nous envoie pour nous faire accepter nos malheurs . Je résolus d' élever ce pays comme un précepteur élève un enfant .
Ne me sachez pas gré de ma bienfaisance , j' y étais trop intéressé par le besoin de distraction que j' éprouvais . Je tâchais alors d' user le reste de mes jours dans quelque entreprise ardue .

MEDECIN DE CAMPAGNE (IX, campagn)
Page: 414